Les rôles familiaux évoluent, et avec eux, les mots que l’on choisit pour les nommer. Aujourd’hui, mamie et papy sonnent parfois comme des clichés dépassés, des étiquettes apposées sans consultation. Pourtant, derrière un simple surnom se joue une question bien plus profonde : celle de l’identité, de la relation, et de la manière dont chaque génération se reconnaît dans l’autre. Ce n’est plus seulement une affaire de tradition, mais de choix, d’intimité, et parfois même de réinvention. De plus en plus de grands-parents refusent les appellations standardisées, préférant des noms qui résonnent avec leur personnalité, leur histoire, ou leur désir de proximité. Ce mouvement, loin d’être anodin, traduit une mutation des liens familiaux, où l’affection s’exprime désormais autant par un mot inventé que par un geste.
Comment un surnom peut transformer une relation ?
Pourquoi les grands-parents rejettent-ils mamie et papy ?
Lorsque Claire Véron, 68 ans, a vu son petit-fils de trois ans la désigner d’un timide mamie , elle a senti comme un frisson désagréable. Ce mot, c’est comme si on m’enterrait dans un fauteuil en rotin, avec des lunettes sur le nez et une tasse de tisane à la main , confie-t-elle en riant. Claire, ancienne professeure de danse, continue de donner des cours deux fois par semaine. Elle se sent vivante, active, et ne veut pas qu’un surnom la réduise à un stéréotype. Elle a donc proposé à ses petits-enfants de l’appeler Mamoune , un mot tendre qu’elle avait entendu dans une chanson d’enfance. C’est doux, c’est personnel, et ça ne me vieillit pas , explique-t-elle.
Cette volonté de bousculer les codes est partagée par de nombreux seniors. Le terme mamie , bien qu’aujourd’hui courant, n’a d’ailleurs fait son apparition qu’après les années 1950, dérivé de l’anglais *mummy*. Avant cela, on disait grand-mère , mémé , ou des formes régionales comme mémère . Aujourd’hui, ce n’est plus la langue qui évolue lentement, mais les attentes des personnes elles-mêmes. On ne veut plus être rangés dans une case parce qu’on a atteint un certain âge , souligne Thomas Lemaire, sociologue familial. Le surnom devient un outil d’affirmation : je suis grand-mère, oui, mais je suis aussi moi-même.
Quel impact a le choix d’un surnom sur les relations intergénérationnelles ?
Le nom donné à un grand-parent n’est pas neutre : il structure la relation. Quand un enfant appelle son aïeul Papou au lieu de papy , il instaure une proximité différente, plus chaleureuse, moins formelle. C’est ce qu’a observé la psychologue Élodie Rambert : Les surnoms affectueux, souvent inventés ou déformés, créent un espace d’intimité. Ils brisent la distance hiérarchique qui pouvait exister autrefois entre les générations.
C’est le cas dans la famille de Julien et Aïcha, parents de deux enfants. Le père de Julien, passionné de jazz et toujours en vadrouille avec son sac à dos, a refusé catégoriquement d’être appelé papy . Il m’a dit : “Tu veux que je devienne un vieux sage qui raconte des histoires autour de la cheminée ? Je suis pas dans un conte de Perrault !” , se souvient Julien. Finalement, les enfants ont commencé à dire Papiou , un mot qu’ils ont inventé en jouant. Aujourd’hui, c’est devenu officiel. C’est marrant, mais ça le représente , ajoute Aïcha. C’est un mélange de douceur et de fantaisie.
Quelles alternatives aux surnoms traditionnels ?
Des surnoms dérivés du prénom ou de la culture familiale
De nombreuses familles s’inspirent du prénom du grand-parent pour créer une appellation unique. Si la grand-mère s’appelle Solange, elle deviendra Solou ou Solinette . Si le grand-père porte le nom de Rémi, on peut imaginer Répou ou Mimou . Ces variations, souvent ludiques, renforcent le sentiment d’appartenance à un univers familial singulier.
C’est ce qu’a fait la famille de Samir, dont la grand-mère paternelle s’appelle Leïla. On voulait quelque chose qui sonne bien en arabe et en français , raconte Samir. Mes enfants ont commencé à dire “Lilou”, et ça a collé. Pour lui, ce choix est aussi une manière de transmettre une partie de ses racines. Ce n’est pas juste un surnom, c’est une identité culturelle qui se transmet doucement.
Et si on s’inspirait de la culture populaire ?
Les films, les livres ou les séries peuvent aussi servir de source d’inspiration. Après la diffusion des films *Sissi*, certains grands-parents ont vu émerger les appellations Mamili et Papili , dérivées du surnom affectueux que l’impératrice portait dans la saga. D’autres, amateurs d’opéra, choisissent des noms comme Tamino ou Pamina , empruntés à *La Flûte enchantée* de Mozart, offrant ainsi une touche d’élégance et de culture à la relation.
Parfois, l’inspiration vient d’un souvenir cinématographique inattendu. Jean-Baptiste, 72 ans, fan de comédies des années 90, a été touché lorsque son petit-fils, après avoir vu *Un Indien dans la ville*, a commencé à l’appeler Baboon . Au début, j’étais un peu perplexe , avoue-t-il. Mais mes petits-enfants trouvaient ça drôle, et moi, ça me rappelait des moments de rire en famille. Alors j’ai adopté.
Peut-on appeler son grand-parent par son prénom ?
De plus en plus de grands-parents choisissent d’être appelés par leur prénom. C’est le cas de Cécile, 70 ans, qui a proposé à ses petits-enfants de l’appeler simplement Cécile . Je voulais qu’on parle d’égal à égal, sans hiérarchie , explique-t-elle. Je suis leur grand-mère, mais je suis aussi une personne à part entière.
Ce choix, bien intentionné, n’est pas toujours bien reçu. Mes enfants ont trouvé ça bizarre, presque froid , confie-t-elle. Ils avaient peur que ça crée une distance. Mais au contraire, mes petits-enfants me posent plus de questions, veulent en savoir plus sur ma vie. Le prénom, c’est une porte ouverte, pas un mur.
Les spécialistes soulignent que ce choix reflète une évolution sociétale : on ne veut plus être défini uniquement par son rôle familial. Être “mamie” ou “papy” est une fonction, mais ce n’est pas toute l’identité , note Thomas Lemaire. En demandant à être appelé par son prénom, on affirme : je suis plus que ça.
Comment les nouvelles structures familiales influencent-elles les surnoms ?
Et dans les familles recomposées, que devient le rôle de grand-parent ?
Avec la montée des familles recomposées, la question des surnoms devient encore plus complexe. Lorsqu’un nouveau partenaire entre dans une famille, il peut avoir des enfants d’un précédent mariage, et donc des petits-enfants. Mais pour les enfants du conjoint, ce nouveau venu n’est pas un grand-parent biologique. Pourtant, un lien peut se tisser, et un nom doit être trouvé.
C’est ce qu’a vécu Camille, belle-mère de deux adolescents. Au début, ils ne savaient pas comment m’appeler , raconte-t-elle. Je ne voulais pas imposer un “mamie”, ce n’aurait pas été honnête. On a longtemps été “Camille”, puis un jour, la plus jeune a dit “Mamina”. Ça m’a touchée. C’était doux, inventé, et ça venait d’elle.
Ces nouveaux modèles familiaux imposent une flexibilité dans les appellations. On voit émerger des termes comme mamoune , bon-papa , ou des néologismes totalement inventés. Le mot n’a plus besoin d’être légitimé par la biologie , analyse Élodie Rambert. Ce qui compte, c’est le lien affectif.
Qui décide du nom finalement ?
Bien que les grands-parents puissent avoir une préférence, c’est souvent l’enfant qui, inconsciemment, forge le surnom. On peut proposer, mais c’est l’enfant qui valide , observe Julien. Quand mon père a suggéré “Papiou”, mes fils ont répété, puis ça a pris. Mais si ça n’avait pas sonné juste, ils auraient trouvé autre chose.
Les parents, quant à eux, peuvent avoir un droit de regard, voire un veto. Certains surnoms peuvent sembler déplacés ou trop familiers , précise Élodie Rambert. Mais en général, plus on laisse de place à l’improvisation affective, plus le lien est authentique.
A retenir
Pourquoi les grands-parents refusent-ils les surnoms traditionnels ?
Beaucoup de grands-parents perçoivent les termes mamie et papy comme des marques de vieillissement imposé. Ils préfèrent des appellations qui reflètent leur personnalité, leur dynamisme, ou leur désir de proximité affective. Ce refus n’est pas une négation de leur rôle, mais une revendication d’identité.
Quel est l’impact d’un surnom sur la relation avec les petits-enfants ?
Le choix d’un surnom influence la nature de la relation. Un terme affectueux et personnalisé renforce l’intimité, brise les distances hiérarchiques, et favorise une relation plus égalitaire. À l’inverse, un surnom trop formel ou imposé peut créer une barrière émotionnelle.
Peut-on s’inspirer de la culture pour choisir un surnom ?
Oui, de nombreux grands-parents s’inspirent de films, de livres, d’opéras ou de figures historiques pour trouver un nom original. Cela peut être une manière ludique de transmettre des valeurs, des passions, ou simplement de partager un univers commun avec les enfants.
Comment les familles recomposées gèrent-elles les surnoms ?
Dans les familles recomposées, les surnoms deviennent des outils de reconnaissance affective plutôt que biologique. On voit émerger des termes inventés, des variantes douces, ou des prénoms modifiés, qui permettent de construire un lien sans trahir l’histoire de chacun.
Qui a le dernier mot dans le choix du surnom ?
Le dernier mot revient souvent à l’enfant. Même si les grands-parents ou les parents font des propositions, c’est l’enfant qui, par répétition et usage, valide ou rejette un surnom. Ce processus, bien que informel, est essentiel à l’authenticité de la relation.