En plein cœur de l’automne, alors que les jardins s’endorment sous une lumière douce et que les feuilles tournoient avant de rejoindre la terre, certains gestes anciens refont surface, discrets mais pleins de sens. Parmi eux, une pratique longtemps moquée ou ignorée : enterrer de vieux clous rouillés dans les plates-bandes. Ce rituel, observé ici et là dans les campagnes françaises, n’a rien d’un simple caprice de bricoleur nostalgique. Il s’inscrit dans une tradition orale, transmise de main en main, où chaque geste cache une connaissance fine du vivant. Derrière cette action apparemment rustique se cache une science du sol, une écologie du geste, et surtout, une réponse naturelle à un problème courant : la carence en fer des plantes. En suivant le parcours de jardiniers passionnés, nous découvrons que ce que l’on prenait pour une anecdote folklorique pourrait bien être une clé pour des potagers plus sains, plus résilients, et profondément ancrés dans une logique de durabilité.
Quel est ce mystérieux rituel que certains jardiniers pratiquent à l’automne ?
À Saint-Clément-de-Régnat, petit village auvergnat niché entre bois et collines, Léonie Vasseur observe depuis des années son voisin, Henri Bréchet, arpenter son jardin à la mi-novembre avec une boîte de clous rouillés à la main. Chaque année, c’est le même manège, raconte-t-elle. Il creuse de petits trous autour de ses rosiers, y glisse deux ou trois clous, recouvre délicatement… Au début, je pensais qu’il nettoyait son atelier. Puis j’ai remarqué que ses hortensias, alors que les miens jaunissaient, gardaient un feuillage d’un vert profond, presque lustré.
Henri, 78 ans, ancien instituteur et passionné de botanique, ne cache pas sa méthode. Mon père faisait ça, mon grand-père aussi. Ils disaient que la terre “avait besoin de sang”. Bien sûr, c’était une image. Mais ils avaient compris une chose simple : quand les feuilles jaunissent, c’est que la plante manque de fer. Et la rouille, c’est du fer oxydé, donc assimilable.
Pourquoi les clous rouillés plutôt que du fer neuf ?
La différence entre un clou neuf et un clou rouillé tient à la chimie du sol. Le fer métallique pur, comme celui d’un clou récent, met des années à s’oxyder et à libérer des ions assimilables. En revanche, la rouille – ou oxyde de fer – se dissout progressivement dans un sol humide, surtout en automne où les pluies régulières favorisent ce processus. Ce relargage lent agit comme un apport progressif, évitant les excès brusques que l’on pourrait observer avec des engrais chimiques.
C’est comme une tisane qui infuse, explique Henri. Pas un coup de fouet, mais une nourriture régulière.
Comment reconnaître une carence en fer chez les plantes ?
Le premier signe est la chlorose ferrique : les jeunes feuilles deviennent jaunes, mais les nervures restent vertes. Ce phénomène touche particulièrement les rosiers, les hortensias, les camélias, les vignes et certains arbres fruitiers comme les cerisiers. Dans les sols calcaires ou trop alcalins, le fer devient insoluble, donc inaccessible aux racines, même s’il est présent en quantité.
Quelles plantes bénéficient le plus de cet apport ?
Les plantes ornementales et les arbustes à petits fruits sont les principales concernées. À Limoux, dans l’Aude, Élodie Ravel, maraîchère bio depuis vingt ans, a testé la méthode sur ses framboisiers. J’avais des pieds qui stagnaient, des feuilles pâles, des fruits de plus en plus petits. J’ai enterré quatre clous rouillés par pied, à l’automne. Six mois plus tard, la reprise était spectaculaire.
En revanche, les légumes du potager – salades, carottes, choux – souffrent rarement de carence en fer. Leur cycle court et leurs besoins différents font que cette méthode n’a que peu d’intérêt pour eux. Le fer, c’est pour les plantes qui vivent longtemps et qui font beaucoup de feuillage , précise Élodie.
Comment pratiquer cette méthode sans risque ?
Comme toute pratique, elle exige mesure et bon sens. Enterrer des dizaines de clous dans un même massif peut entraîner une concentration excessive de fer, nuisible à la microfaune du sol. La clé est la modération.
Quelle est la bonne méthode pour enterrer les clous ?
Il faut choisir des clous bien oxydés, de préférence en fer doux, non galvanisés ni inoxydables. Deux à cinq clous par plante suffisent. Ils doivent être enfouis à 5 à 10 centimètres de profondeur, à une vingtaine de centimètres du tronc ou du collet, pour éviter tout contact direct et faciliter la diffusion progressive.
Je les plante en triangle autour du rosier, comme des sentinelles , sourit Henri Bréchet. L’automne est la saison idéale : les pluies vont activer l’oxydation, et l’apport sera disponible au printemps, au moment de la reprise de végétation.
Quels pièges faut-il éviter ?
Utiliser des vis zinguées, des écrous ou des objets métalliques traités est inutile voire dangereux. Le zinc, par exemple, peut être toxique pour certaines plantes. Seul le fer rouillé, naturellement oxydé, a cette vertu corrective. Par ailleurs, il ne faut pas renouveler l’opération trop souvent : deux fois par an maximum, espacées de plusieurs mois.
La science valide-t-elle cette pratique ancestrale ?
Oui. Les analyses pédologiques montrent que l’oxyde de fer (Fe₂O₃) se solubilise dans les sols acides ou neutres, libérant des ions Fe³⁺ que les racines peuvent absorber. Ce processus est lent, mais durable. Contrairement aux chélatés de fer utilisés en agriculture biologique, souvent coûteux et parfois instables, les clous rouillés offrent une alternative naturelle, gratuite et respectueuse de l’équilibre du sol.
Existe-t-il des alternatives au clou rouillé ?
Oui. Le paillage organique, notamment avec des feuilles de chêne ou de hêtre, aide à maintenir une acidité modérée du sol, favorable à l’assimilation du fer. L’arrosage avec de l’eau déminéralisée ou la récupération d’eau de pluie évite l’apport de calcaire, qui bloque l’absorption. Certains jardiniers incorporent aussi de la poudre de roche ou du compost très mûr, riches en oligo-éléments.
Mais rien ne remplace l’efficacité ciblée du clou rouillé pour les plantes chlorotiques , insiste Élodie Ravel. C’est un correctif localisé, simple, et qui fonctionne.
Quels enseignements tirer de cette pratique traditionnelle ?
Ce qui frappe, c’est la sagesse contenue dans ces gestes simples. Les anciens jardiniers n’avaient pas de laboratoires, mais ils observaient. Ils voyaient que certaines plantes jaunissaient, que d’autres, à côté, prospéraient. Ils expérimentaient, ajustaient, transmettaient. Cette méthode, comme tant d’autres, repose sur une écologie fine, une attention aux cycles naturels, et un respect du vivant.
On a tendance à croire que le progrès, c’est toujours plus complexe , remarque Léonie Vasseur. Mais parfois, c’est l’inverse. J’ai arrêté d’acheter des produits chimiques pour mes rosiers. Depuis que j’enterre des clous, ils n’ont jamais été aussi beaux.
En cette époque où l’on cherche à réduire notre empreinte écologique, ces savoirs populaires retrouvent toute leur pertinence. Ils invitent à une relation plus humble, plus attentive, avec la terre. Et ils rappellent que la solution peut venir d’un vieux clou oublié dans un tiroir.
A retenir
Les clous rouillés apportent-ils vraiment du fer aux plantes ?
Oui. La rouille, ou oxyde de fer, se dissout lentement dans le sol humide, libérant des ions ferriques assimilables par les racines. Ce processus est particulièrement efficace en automne, grâce aux pluies régulières, et permet de corriger les carences en fer responsables de la chlorose.
Quelles plantes peuvent en bénéficier ?
Les plantes ornementales comme les rosiers, hortensias, camélias, ainsi que les arbustes à petits fruits (framboisiers, groseilliers) ou les vignes. Les légumes du potager, en revanche, n’en tirent généralement aucun bénéfice.
Faut-il utiliser des clous neufs ou rouillés ?
Privilégiez les clous bien rouillés. Le fer neuf met trop longtemps à s’oxyder pour être efficace rapidement. Si vous n’avez que des clous neufs, vous pouvez les accélérer en les laissant à l’air libre, humidifiés, pendant quelques semaines.
Y a-t-il un risque de surdosage ?
Oui, comme pour tout apport minéral. Il est conseillé de n’utiliser que 2 à 5 clous par plante, espacés de 40 à 50 cm entre eux, et de limiter l’opération à deux fois par an. Un excès de fer peut déséquilibrer la microfaune du sol et nuire à certaines espèces.
Peut-on utiliser d’autres objets métalliques ?
Non. Seul le fer non traité, rouillé naturellement, est bénéfique. Les objets galvanisés, zingués ou inoxydables ne libèrent pas de fer assimilable et peuvent même libérer des substances toxiques. Restez simple : un vieux clou en fer doux, voilà tout ce qu’il faut.