Chaque mouvement à la surface de l’eau raconte une histoire de résilience, de dépassement, et parfois, de renaissance. Sur les berges du wake park d’Advance Ride, à Saint-Renan, une initiative inédite a transformé une simple séance d’essai en véritable symbole d’inclusion. Dix-sept personnes amputées au niveau du tibia ou du fémur ont participé à une journée dédiée à la pratique des sports nautiques, encadrées par des professionnels convaincus que l’accessibilité ne doit jamais être une utopie. L’objectif ? Montrer que le handicap n’est pas une barrière à l’aventure, surtout quand la technologie, la volonté humaine et un environnement adapté s’allient pour repousser les limites.
Comment rendre le wakeboard accessible aux personnes amputées ?
Le wakeboard, sport nautique qui consiste à glisser sur l’eau à l’aide d’un câble motorisé, exige équilibre, coordination et force. Pour une personne amputée, ces exigences peuvent sembler insurmontables. Pourtant, grâce à des prothèses spécialement conçues pour les environnements aquatiques, la pratique devient non seulement possible, mais aussi sécurisée. Agathe Le Gourieres, orthoprothésiste chez Algo Orthopédie, a joué un rôle central dans cette journée d’initiation. Elle explique que les prothèses utilisées sont dotées de matériaux résistants à l’eau, légers, et dotées d’un système d’ancrage permettant une stabilité optimale sur la planche. L’idée, c’est de ne pas adapter la personne au sport, mais d’adapter le sport à la personne , précise-t-elle.
Les participants ont pu tester plusieurs types de prothèses, certaines équipées de pieds dynamiques, d’autres de fixations spécifiques pour maintenir la jambe en position idéale lors des figures. Le parcours aquatique du wake park, avec ses rampes progressives et ses zones de sécurité, a été adapté pour permettre des prises en main en douceur. Les moniteurs, formés à l’accompagnement de publics en situation de handicap, ont su instaurer un climat de confiance, essentiel pour franchir le cap de l’essai.
Quelles sont les prothèses utilisées pour les sports nautiques ?
Les prothèses employées ce jour-là ne ressemblent en rien à celles utilisées pour la marche quotidienne. Conçues par Algo Orthopédie, elles intègrent des innovations technologiques pensées pour les activités extrêmes. On a développé des emboîtures étanches, des systèmes de suspension qui absorbent les chocs, et des pieds prothétiques ultra-résistants à l’impact , détaille Agathe Le Gourieres. Ces équipements, bien que coûteux, sont désormais accessibles via des partenariats avec des associations et des centres de rééducation.
L’un des participants, Julien Kervella, amputé du fémur gauche suite à un accident de moto, témoigne : J’ai longtemps cru que les sports nautiques étaient exclusivement réservés aux “valides”. Aujourd’hui, je me suis tenu debout sur une planche, j’ai glissé, j’ai même réussi un petit virage. Ce n’est pas une victoire sportive, c’est une victoire personnelle. Son émotion est palpable lorsqu’il raconte sa première immersion, les pieds dans l’eau, la prothèse testée en conditions réelles. Le fait que l’équipement tienne, que je ne perde pas l’équilibre, ça change tout. C’est comme si mon corps retrouvait une partie de sa liberté.
Quel est l’impact psychologique de ces expériences sportives ?
Le sport, surtout lorsqu’il est pratiqué dans un cadre collectif, agit comme un puissant vecteur de reconstruction identitaire. Pour beaucoup de personnes amputées, le retour à une activité physique intense peut sembler inaccessible, voire dangereux. Cette journée a permis de briser ces croyances. Camille Rozec, psychologue spécialisée en accompagnement des personnes en situation de handicap, observe que le sport nautique, avec son aspect ludique et spectaculaire, touche à l’image de soi. Réussir un virage, rester debout, c’est dire à son propre corps : tu es encore capable.
Un autre participant, Loïc Tanguy, qui a perdu sa jambe droite à la suite d’une infection osseuse, raconte : Pendant des années, je me suis senti en retrait. Mes amis partaient en vacances, faisaient du jet-ski, du paddle… Moi, je restais sur la plage. Aujourd’hui, je me suis dit : et pourquoi pas moi ? Ce sentiment de normalité retrouvée, cette sensation de faire comme les autres , est précieux. Ce n’est pas qu’une question de prothèse, c’est une question de dignité , ajoute-t-il.
Comment les structures sportives s’adaptent-elles à l’inclusion ?
Le wake park d’Advance Ride, lieu emblématique de la pratique du wakeboard en Bretagne, a fait le choix de l’inclusion en aménageant son espace et en formant son personnel. Des rampes d’accès spécifiques, des zones d’entrée et de sortie sécurisées, ainsi que des embarcations adaptées ont été mis en place. On ne veut pas d’un sport d’élite fermé à certains. On veut que tout le monde puisse venir ici, peu importe son histoire , affirme Thomas Le Floch, directeur du site.
Pour lui, cette journée n’est qu’un début. On travaille avec des orthoprothésistes, des associations, pour développer des sessions régulières. L’idée est d’instaurer une véritable continuité, pas juste un événement ponctuel. Le modèle pourrait inspirer d’autres centres aquatiques en France. En parallèle, des partenariats avec des assurances et des mutuelles sont en cours de discussion pour faciliter l’accès financier aux équipements spécialisés.
Quels témoignages marquants ont émergé de cette journée ?
Les témoignages des participants ont été nombreux, mais celui d’Élodie Pellen, amputée du tibia après un accident de ski, a particulièrement marqué les esprits. Mère de deux enfants, elle n’avait jamais osé s’approcher de l’eau depuis son amputation. Je ne voulais pas qu’ils me voient avec ma prothèse, mouillée, différente , confie-t-elle. Pourtant, ce jour-là, elle a enfilé sa combinaison, ajusté sa prothèse aquatique, et s’est lancée. Quand je suis sortie de l’eau, mes enfants m’ont applaudie. L’un d’eux a dit : “Maman, t’étais trop forte !” Ce moment-là… je ne l’oublierai jamais.
Un autre moment fort a été la première descente de Gwenaël Hervé, ancien militaire amputé suite à une mission en zone de conflit. Pendant longtemps, je me suis senti inutile. Aujourd’hui, je me suis senti vivant. Son regard, fixé sur l’horizon pendant qu’il glissait, disait plus que les mots. Pour lui, cette expérience a été un véritable tournant : Je ne sais pas encore si je vais me mettre au wakeboard, mais je sais que je ne vais plus me laisser enfermer dans mon handicap.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour le sport adapté en milieu aquatique ?
Les retours positifs de cette journée incitent les organisateurs à envisager une structuration plus large de l’offre. Des ateliers réguliers sont à l’étude, ainsi qu’un programme de formation pour les moniteurs de sports nautiques. L’objectif est de créer un réseau national de centres capables d’accueillir des personnes amputées avec les équipements et le savoir-faire nécessaires.
Agathe Le Gourieres insiste sur l’importance de la co-construction : Il ne faut pas décider à la place des personnes concernées. C’est en travaillant avec elles, en écoutant leurs besoins, qu’on peut créer des solutions durables. Des prototypes de prothèses modulaires, interchangeables selon les activités (natation, wakeboard, paddle), sont actuellement en phase de test. On imagine un futur où la prothèse ne soit plus un outil de compensation, mais un outil de performance, au même titre que pour un sportif de haut niveau.
Quels défis restent à surmonter ?
Malgré les avancées, plusieurs obstacles persistent. Le coût des prothèses spécialisées reste élevé, et leur prise en charge par la sécurité sociale est encore limitée. On est dans une logique de santé publique, pas de performance ou de loisir. Or, la qualité de vie, c’est aussi du loisir , souligne Agathe Le Gourieres. Par ailleurs, le manque de sensibilisation dans certaines structures sportives freine l’inclusion. Beaucoup ne savent pas comment accueillir une personne amputée, ou pensent que c’est trop compliqué , déplore Thomas Le Floch.
Enfin, le facteur psychologique ne doit pas être sous-estimé. Il faut du temps, de la patience, et parfois, plusieurs essais avant que la personne se sente prête , explique Camille Rozec. Le soutien psychologique doit donc accompagner l’accompagnement technique.
Conclusion
Cette journée au wake park de Saint-Renan n’était pas seulement une démonstration de matériel ou une simple séance d’essai. Elle incarnait une vision : celle d’un sport véritablement inclusif, où la diversité des corps n’est plus un obstacle, mais une richesse. Grâce à des innovations prothétiques, à des structures engagées et à des professionnels déterminés, les personnes amputées redécouvrent leur potentiel, sur l’eau comme ailleurs. Les vagues qu’ils ont fendues ce jour-là ne sont pas seulement celles du canal — elles marquent le début d’un mouvement plus large, celui de l’émancipation par le sport.
A retenir
Quel était l’objectif de la journée d’initiation au wakeboard ?
L’objectif était de démontrer que les sports nautiques sont accessibles aux personnes amputées grâce à des prothèses adaptées et un encadrement spécialisé. Il s’agissait aussi de briser les préjugés et de renforcer la confiance en soi des participants.
Quels types de prothèses ont été utilisés ?
Des prothèses étanches, légères et dotées de systèmes de fixation spécifiques pour la pratique du wakeboard. Elles intègrent des matériaux résistants à l’eau et des pieds prothétiques conçus pour absorber les chocs et assurer la stabilité sur la planche.
Combien de personnes ont participé à l’événement ?
Dix-sept personnes amputées au niveau du tibia ou du fémur ont participé à cette journée d’initiation organisée au wake park d’Advance Ride à Saint-Renan.
Quel est le rôle d’Algo Orthopédie dans ce projet ?
Algo Orthopédie a fourni les prothèses adaptées, accompagné les participants dans leur ajustement, et collaboré à la conception des équipements. L’entreprise s’inscrit dans une démarche d’innovation sociale, visant à rendre les activités sportives accessibles à tous.
Quelles sont les perspectives d’avenir pour ce type d’initiatives ?
Les organisateurs envisagent la mise en place de sessions régulières, la formation de moniteurs au sport adapté, et le développement de prothèses modulaires. L’objectif est de créer un réseau national de centres aquatiques inclusifs.