Quand on joue en famille, le temps s’arrête au festival d’Alençon

Chaque automne, la ville d’Alençon, nichée au cœur de l’Orne, se transforme en capitale vivante du jeu de société. Depuis le 26 septembre 2025, la Halle aux Toiles vibre au rythme des parties enflammées, des éclats de rire et des stratégies millimétrées. La 9e édition des Imaginaires ludiques a ouvert ses portes pour trois jours de convivialité, d’apprentissage et de découvertes. Porté par l’association Le Gobelin farceur, en étroite collaboration avec la librairie Le Passage et le magasin Pinocchio, ce festival s’est imposé comme une référence incontournable dans le paysage culturel local, attirant chaque année plus de 4 000 visiteurs venus explorer l’univers foisonnant des jeux modernes, traditionnels, coopératifs ou narratifs. Plus qu’un simple événement ludique, ce rassemblement incarne une véritable philosophie : celle du jeu comme outil d’éducation, de lien social et d’épanouissement personnel.

Qu’est-ce que les Imaginaires ludiques ?

Les Imaginaires ludiques ne se contentent pas de présenter des jeux : ils invitent à une immersion totale dans l’univers du jeu en société, sous toutes ses formes. Sur des centaines de mètres carrés, plus de 1 500 références sont mises à disposition du public, encadrées par des animateurs passionnés. Des ateliers d’initiation, des tournois, des rencontres avec des auteurs et des éditeurs, ainsi que des démonstrations en continu, rythment les journées. L’un des atouts majeurs du festival réside dans son accessibilité : enfants, adolescents, adultes, seniors, néophytes ou experts, tous y trouvent leur compte. L’ambiance y est chaleureuse, sans compétition excessive, où l’erreur est bienvenue et la bonne humeur obligatoire.

Pourquoi ce festival attire-t-il autant de monde ?

La popularité croissante des Imaginaires ludiques s’explique par une offre à la fois variée et soigneusement pensée. Contrairement à certains salons centrés sur la performance ou la nouveauté commerciale, celui-ci met l’accent sur l’expérience humaine. Le public n’est pas là pour acheter, mais pour jouer, échanger, partager. Les organisateurs ont fait le pari audacieux de privilégier la qualité des interactions plutôt que le chiffre d’affaires. C’est ce qui a séduit Camille Rousset, bibliothécaire à Flers, qui vient chaque année avec son équipe : « Ce n’est pas un salon comme les autres. Ici, on sent que le jeu est mis au service du lien, pas du marketing. On voit des familles jouer ensemble pendant des heures, des adolescents timides s’ouvrir à travers un jeu de rôle, des seniors découvrir des mécaniques modernes sans se sentir dépassés. C’est rare. »

Le jeu, un outil pédagogique puissant ?

Derrière le divertissement se cache une dimension éducative profonde. Claire Dubreuil, professeure des écoles à Alençon, arpente régulièrement les allées du festival pour repérer des jeux qu’elle pourra intégrer à ses séances. « Le jeu, c’est une porte d’entrée formidable pour apprendre, explique-t-elle. Prenez un jeu comme “Time’s Up ! Histoire” : mes élèves doivent deviner des personnages historiques, mais pour ça, ils doivent avoir compris leur rôle, leur époque, leurs réalisations. C’est du travail cognitif déguisé en amusement. » Elle insiste aussi sur les compétences sociales développées : « On apprend à perdre, à se mettre à la place de l’autre, à coopérer. Dans ma classe, après une séance de jeu coopératif, les élèves sont plus solidaires, plus à l’écoute. »

Comment le jeu favorise-t-il l’intelligence émotionnelle ?

Les jeux modernes, notamment les jeux narratifs ou coopératifs, exigent une forme d’intelligence émotionnelle souvent absente des méthodes scolaires classiques. Prenez un jeu comme “Pandémie”, où les joueurs doivent collaborer pour sauver le monde d’une contagion. Chaque décision impacte l’équipe entière. Il faut négocier, anticiper, accepter des compromis. Pour Élodie Mercier, psychologue scolaire intervenant dans plusieurs établissements du département, ces mécaniques sont précieuses : « Les enfants qui ont du mal à s’exprimer trouvent souvent leur voix à travers un personnage ou une règle. Le cadre du jeu les rassure. Ils osent prendre des risques, formuler des idées, même quand ils perdent. C’est une forme d’apprentissage émotionnel encadrée, mais libre. »

Quel rôle jouent les associations et commerces locaux ?

L’association Le Gobelin farceur, fondée en 2016 par un groupe d’enseignants et de passionnés de jeux, est l’âme du festival. Son président, Thibault Lenoir, explique que tout a commencé dans un petit local associatif : « On voulait simplement montrer que le jeu, ce n’était pas que des dés et des plateaux. C’était une manière de penser, de dialoguer, de construire ensemble. » Grâce à des partenariats solides avec la librairie Le Passage et le magasin Pinocchio, l’événement a pu croître sans perdre son esprit initial. « On refuse les grosses marques qui veulent monopoliser l’espace, précise-t-il. Nous travaillons avec des éditeurs indépendants, des auteurs locaux, des artisans. C’est une éthique du jeu lent, si vous voulez. »

Pourquoi la librairie Le Passage s’investit-elle dans cet événement ?

La librairie Le Passage, lieu emblématique d’Alençon, a fait du jeu de société une de ses spécialités. Son responsable, Julien Arnaud, voit dans cette collaboration une extension naturelle de leur mission : « Nous ne vendons pas seulement des livres ou des jeux. Nous vendons du temps partagé, de la discussion, de la curiosité. Un jeu, c’est une histoire qu’on construit à plusieurs. C’est proche de la littérature, en plus interactif. » Depuis plusieurs années, la librairie organise des soirées jeux hebdomadaires, devenant un véritable tiers-lieu pour les habitants. « Des gens qui ne se seraient jamais parlé se retrouvent autour d’une table. C’est magique. »

Le jeu, un remède contre l’isolement ?

Dans une société où les écrans individualisent de plus en plus les loisirs, le jeu de société apparaît comme un contrepoids salutaire. C’est ce que constate Sophie Blanchard, retraitée de 68 ans, venue au festival avec son petit-fils de 10 ans : « Avant, on jouait à la belote en famille. Maintenant, les enfants sont sur leurs tablettes. Ici, on a rejoué ensemble. On a ri, on a discuté. C’est simple, mais c’est précieux. »

Comment les seniors s’approprient-ils les nouveaux jeux ?

Le festival propose des espaces spécifiques pour les seniors, avec des jeux adaptés à leurs capacités cognitives et à leurs centres d’intérêt. Des ateliers de mémoire, des parties de dominos revisités, ou encore des jeux d’énigmes sur fond d’histoire locale sont proposés. « On a longtemps cru que le jeu, c’était pour les jeunes, regrette Marc Tissier, animateur bénévole. Mais les personnes âgées ont un besoin vital de stimulation et de lien. Le jeu, c’est un pont entre les âges. »

Quelle place pour la mixité et l’inclusion ?

Un autre combat mené par les organisateurs est celui de la déconstruction des stéréotypes liés au jeu. « On cherche de plus en plus des cadeaux non-genrés », rappelle une responsable du magasin Pinocchio, faisant écho à une tendance nationale. Les jeux proposés ne sont pas classés par “garçons” ou “filles”, mais par mécanique, thème ou âge. Des ateliers sur le jeu inclusif, des espaces calmes pour les personnes en situation de handicap, et une attention particulière portée au langage utilisé par les animateurs témoignent d’une volonté claire d’ouverture. Léa Zidane, mère de deux enfants, apprécie cette approche : « Je veux que mes enfants choisissent un jeu parce qu’il les amuse, pas parce qu’il est “rose” ou “bleu”. Ici, on ne leur impose rien. »

Quel avenir pour les Imaginaires ludiques ?

Avec une fréquentation en constante augmentation, les organisateurs réfléchissent à une extension du festival. L’idée d’un volet itinérant, qui irait dans les villages alentour, est sérieusement envisagée. « Le jeu ne doit pas rester cantonné à la ville », affirme Thibault Lenoir. D’autres pistes, comme des résidences d’auteurs ou des collaborations avec les collèges, sont également à l’étude. « On rêve d’un jour où chaque école aura son club jeu, comme il y a un club théâtre ou sport. Ce serait une victoire. »

A retenir

Quel est l’objectif principal des Imaginaires ludiques ?

L’objectif est de promouvoir le jeu de société comme vecteur de lien social, d’apprentissage et d’inclusion. Plus qu’un événement de divertissement, il s’agit d’un projet culturel ancré dans les valeurs de partage, d’éducation et de mixité.

Qui organise le festival ?

Le festival est porté par l’association Le Gobelin farceur, en partenariat étroit avec la librairie Le Passage et le magasin Pinocchio. Ces acteurs locaux conjuguent passion du jeu et engagement citoyen pour créer un événement à la fois populaire et profondément humain.

Le festival est-il accessible à tous ?

Oui, l’un des principes fondateurs est l’accessibilité. Des tarifs réduits, des espaces adaptés aux personnes en situation de handicap, des animations pour tous les âges et des jeux non-genrés garantissent que chacun puisse y trouver sa place.

Peut-on participer sans connaître les jeux ?

Absolument. Des animateurs sont présents sur chaque stand pour expliquer les règles, guider les novices et proposer des parties d’initiation. L’esprit du festival repose sur l’envie de découvrir, pas sur la maîtrise préalable.

Le jeu de société a-t-il un impact éducatif avéré ?

Oui, de nombreuses études et témoignages de professionnels de l’éducation le confirment. Le jeu développe la concentration, la résolution de problèmes, la coopération, la gestion des émotions et l’empathie, notamment chez les enfants et les adolescents.

Quelle est la spécificité de ce festival par rapport à d’autres événements du même type ?

Contrairement à des salons orientés vers le commerce ou la nouveauté, les Imaginaires ludiques misent sur l’expérience humaine, la qualité des interactions et l’engagement local. L’absence de stands publicitaires envahissants, la place donnée aux petits éditeurs et la dimension pédagogique en font un événement unique en son genre.