Retrait du permis : la France prépare un contrôle médical tous les 15 ans en 2025

Le retrait du permis de conduire, sujet autrefois périphérique, s’impose aujourd’hui au cœur du débat public. Alors que l’Union européenne fixe un cap ambitieux – zéro mort sur les routes d’ici 2050 –, la France se penche sur des réformes qui pourraient redéfinir la manière dont la conduite est encadrée. Entre sécurité routière, autonomie des individus et équité sociale, la question du permis à vie, hérité d’un modèle ancien, suscite des interrogations de plus en plus pressantes. Des voix s’élèvent pour réclamer des contrôles médicaux réguliers, tandis que d’autres s’inquiètent d’une stigmatisation des conducteurs âgés. Entre données, témoignages et pistes concrètes, voici une exploration nuancée d’un enjeu qui touche des millions de Français.

Pourquoi le retrait du permis refait-il surface dans le débat ?

Le contexte européen est un catalyseur essentiel. L’objectif de « Vision zéro », porté par Bruxelles, contraint chaque État membre à repenser ses politiques de sécurité routière. En France, où le permis est actuellement valable à vie, cette ambition heurte une réalité juridique et culturelle. Contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie, où des examens médicaux périodiques sont requis à partir d’un certain âge, la France n’impose pas de renouvellement automatique. Pourtant, les accidents impliquant des conducteurs âgés, souvent liés à une baisse des capacités sensorielles ou cognitives, relancent la discussion.

Karima Delli, eurodéputée écologiste, est l’une des figures de proue de cette réforme. Elle propose un contrôle médical tous les 15 ans pour tous les conducteurs, indépendamment de l’âge. Selon elle, ce dispositif ne serait pas une atteinte à la liberté, mais un outil de prévention. « Il ne s’agit pas de punir, mais de prévenir », affirme-t-elle dans un récent débat parlementaire. Cette idée, soutenue par Bruno Millienne, député et rapporteur de la mission sur la mobilité des aînés, gagne en légitimité. Pour lui, « la sécurité routière ne peut pas être aveugle aux évolutions du corps humain ».

Mais le débat dépasse les discours politiques. À Lyon, Lucien Vasseur, 78 ans, ancien professeur de lettres, témoigne : « Je conduis depuis 1963. J’ai toujours respecté le code, jamais eu d’amende grave. Pourquoi devrais-je subir un examen médical alors que mon voisin de 35 ans, imprudent, n’en fait pas ? » Son point de vue reflète une crainte largement partagée : celle d’une discrimination fondée sur l’âge, au détriment de l’individualisation du risque.

Le retrait du permis doit-il être fondé sur l’âge ou sur la santé ?

Les statistiques officielles montrent que les conducteurs âgés sont surreprésentés dans certains types d’accidents, notamment les sorties de route ou les collisions à intersections. Toutefois, ces données doivent être lues avec prudence. Les jeunes conducteurs, eux, sont surreprésentés dans les accidents mortels liés à la vitesse ou à l’alcool. Le risque n’est donc pas lié à un groupe d’âge unique, mais à un ensemble de facteurs : expérience, comportement, état de santé, environnement routier.

C’est cette nuance que défend l’association 40 millions d’automobilistes. Son porte-parole, Romain Lefebvre, insiste : « Il est injuste de priver un conducteur de son permis uniquement parce qu’il a 70 ans. Ce qui compte, c’est son état réel, pas son âge sur une carte d’identité. » L’association plaide pour un système ciblé, fondé sur des signalements médicaux, des comportements anormaux ou des accidents répétés. Dans ce cadre, le médecin traitant ou un expert agréé pourrait évaluer la capacité à conduire, sans imposer une procédure automatique.

À Bordeaux, la neurologue Aïcha Mansouri suit depuis des années des patients atteints de troubles cognitifs légers. Elle raconte le cas d’un homme de 72 ans, ancien ingénieur, dont la mémoire épisodique s’était altérée. « Il ne se souvenait plus des feux rouges, oubliait où il allait. Pourtant, il refusait de lâcher le volant. Ce n’est pas l’âge qui pose problème, c’est la pathologie. » Pour elle, un système médicalisé, avec des bilans réguliers à partir de 70 ans, serait une avancée. « Mais il faut qu’il soit accessible, humain, et qu’il propose des alternatives avant le retrait. »

Comment concilier sécurité et autonomie dans la mobilité ?

Le retrait du permis n’est jamais neutre. Pour de nombreuses personnes, surtout en zones rurales ou périurbaines, la voiture n’est pas un luxe, mais un lien vital : accès aux soins, aux courses, aux proches. C’est le cas de Françoise Berthelot, 81 ans, vivant à 30 km d’Angers. « Ici, il n’y a ni bus ni taxi. Si je perds mon permis, je deviens prisonnière de chez moi. » Son témoignage illustre une réalité territoriale cruciale : la mobilité des seniors est souvent liée à leur isolement géographique.

Face à ce dilemme, des pistes concrètes émergent. Les évaluations de conduite, combinant tests médicaux, psychotechniques et conduite réelle, permettent d’identifier les fragilités sans stigmatiser. À Lille, un programme pilote propose à des conducteurs âgés de passer un bilan complet encadré par un médecin, un psychologue et un moniteur d’auto-école. Le résultat ? 70 % des participants ont vu leur confiance au volant renforcée, et certains ont bénéficié de conseils sur l’adaptation de leur véhicule.

Les stages de remise à niveau sont une autre réponse. Structurés autour de simulations, d’exercices de perception et de gestion du stress, ils permettent de rafraîchir les connaissances et d’adapter les comportements. « J’ai fait un stage à 74 ans », raconte Michel Laroche, retraité de l’industrie. « J’ai appris à mieux anticiper, à utiliser les aides électroniques. Je conduis moins vite, mais je me sens plus sûr. »

La technologie joue également un rôle clé. Les véhicules modernes intègrent des systèmes de freinage d’urgence, d’alerte de franchissement de ligne, ou de détection d’angles morts. Ces aides, souvent perçues comme réservées aux jeunes conducteurs, peuvent être particulièrement bénéfiques pour les seniors. « Un bon système d’aide à la conduite peut compenser une baisse de réflexes », explique Thomas Nguyen, ingénieur en sécurité routière. « Mais il faut les rendre accessibles, notamment via des aides à l’achat ou des primes à la conversion. »

Quel modèle européen pour la France ?

La France ne part pas de zéro. En Europe, plusieurs pays ont mis en place des systèmes de contrôle périodique. En Allemagne, les conducteurs de plus de 70 ans doivent passer un examen médical tous les deux ans pour renouveler leur permis. En Italie, un bilan médical est requis tous les 10 ans après 65 ans. En Suède, les évaluations sont individualisées, avec un accent mis sur la mobilité durable et les alternatives à la voiture.

Ces modèles montrent que des équilibres sont possibles. Mais ils soulèvent aussi des questions d’harmonisation. Si la France adopte un système trop différent, cela pourrait poser des problèmes pour les conducteurs transfrontaliers ou les touristes. « L’Europe avance vers une harmonisation des règles, mais chaque pays doit adapter les mesures à sa géographie, à sa culture et à ses infrastructures », précise Élodie Renard, chercheuse en politiques publiques à Sciences Po.

Le défi français est particulier : un vaste territoire, des zones rurales mal desservies, une forte dépendance à la voiture. Toute réforme doit donc intégrer ces réalités. « On ne peut pas appliquer à la France un modèle urbain comme celui de Copenhague », souligne-t-elle. « Il faut une solution proportionnée, progressive, et accompagnée. »

Comment éviter l’isolement des conducteurs concernés ?

Le retrait du permis ne doit pas signifier la fin de la mobilité. C’est là que la question du lien social devient centrale. Dans de nombreuses communes, des solutions alternatives se développent : transports à la demande, covoiturage solidaire, navettes gratuites pour les seniors. À Rodez, une association locale a mis en place un réseau de bénévoles qui accompagnent les personnes âgées aux rendez-vous médicaux. « On ne parle pas de charité, mais de solidarité territoriale », explique la coordinatrice, Nadia Choukri.

Le numérique peut aussi jouer un rôle. Des applications permettent de réserver des trajets, de trouver des covoitureurs, ou d’accéder à des informations en temps réel sur les transports en commun. Mais encore faut-il que ces outils soient maîtrisés. « Beaucoup de seniors sont perdus face aux nouvelles technologies », reconnaît Jean-Marc Delattre, animateur d’un atelier numérique dans une maison de retraite de Dijon. « Il faut les accompagner, pas les laisser sur le bord de la route. »

Quel avenir pour le permis de conduire en France ?

Les décisions à venir seront cruciales. Une réforme du permis, attendue pour 2025, pourrait intégrer des contrôles médicaux périodiques, des bilans de compétence ou des dispositifs d’accompagnement. Mais elle devra naviguer entre deux écueils : d’un côté, la nécessité de protéger tous les usagers de la route ; de l’autre, le respect de l’autonomie et de la dignité des conducteurs.

Le message est clair : le retrait du permis ne doit jamais être une sanction automatique. Il doit être le dernier recours, précédé d’un accompagnement médical, psychologique et social. Et surtout, il doit s’inscrire dans une politique plus large de mobilité inclusive, où chacun, quel que soit son âge, puisse continuer à circuler, à vivre, à exister.

A retenir

Le permis à vie en France est-il remis en cause ?

Oui, dans le cadre de l’objectif européen de « zéro mort » d’ici 2050, des propositions émergent pour instaurer des contrôles médicaux périodiques, notamment à partir de 70 ans. Le permis à vie pourrait être progressivement remplacé par un système de renouvellement encadré.

Le retrait du permis est-il lié uniquement à l’âge ?

Non. Les spécialistes insistent sur le fait que la décision doit être fondée sur l’état de santé, le comportement au volant et les capacités réelles du conducteur, et non sur l’âge seul. Un système ciblé et individualisé est préféré à une règle générale.

Existe-t-il des alternatives au retrait du permis ?

Oui. Des évaluations de conduite, des stages de remise à niveau, des adaptations technologiques du véhicule et des solutions de mobilité alternative (transport à la demande, covoiturage solidaire) permettent de maintenir l’autonomie tout en assurant la sécurité.

Comment les autres pays européens gèrent-ils ce sujet ?

En Allemagne, Italie ou Suède, des contrôles médicaux périodiques sont requis pour les conducteurs âgés. Ces modèles montrent que des équilibres entre sécurité et liberté sont possibles, mais doivent être adaptés aux spécificités de chaque pays.

La voiture est-elle encore indispensable pour les seniors en France ?

Dans de nombreuses zones rurales ou périurbaines, oui. La voiture reste le seul moyen d’accéder aux soins, aux services et aux proches. C’est pourquoi toute réforme doit être accompagnée de solutions concrètes pour éviter l’isolement.