À Caen, des retraités de la CPAM dénoncent l’insécurité sociale et alertent sur leur quotidien

Le 80e anniversaire des ordonnances foncières de la Sécurité sociale, qui ont jeté les bases du système de protection sociale en France en 1945, s’annonce sous le signe de l’inquiétude. Alors que cette institution emblématique fête huit décennies de solidarité nationale, les voix s’élèvent pour alerter sur sa pérennité. Dans le Calvados, l’intersyndicale des retraités a lancé un vibrant appel à la mobilisation, réunissant une trentaine de manifestants devant les locaux de la Caisse primaire d’assurance maladie de Caen. Pour Sylvie Relland, secrétaire générale retraités de la CGT du Calvados, le constat est sans appel : le modèle de répartition, pilier du système, est menacé. Entre pressions financières, évolutions démographiques et débats politiques, l’avenir de la Sécurité sociale suscite des craintes légitimes. À travers témoignages, analyses et réflexions croisées, cet article explore les enjeux de cette protection sociale à un tournant crucial de son histoire.

Qu’est-ce que le système de répartition, cœur du modèle français ?

Le système de répartition repose sur un principe simple mais puissant : les cotisations des actifs financent les prestations des retraités, des malades, des chômeurs. Contrairement à la capitalisation, où chaque individu épargne pour lui-même, la répartition incarne la solidarité intergénérationnelle. Chaque génération contribue au bien-être de celle qui la précède, dans une chaîne humaine et sociale. Ce modèle, né après la Seconde Guerre mondiale, a permis de construire une protection universelle, indépendante de la fortune individuelle. Mais aujourd’hui, des experts comme Élodie Bréhal, économiste à l’université de Caen, soulignent que ce mécanisme est soumis à des tensions croissantes . Avec un vieillissement de la population et une croissance économique ralentie, le ratio actifs/retraités diminue. En 1950, il y avait environ 6 actifs pour un retraité. En 2025, ce chiffre approche de 1,7. Cette pression structurelle remet en cause l’équilibre du système.

Quels sont les signes de fragilisation du système ?

Les signaux d’alerte se multiplient. Les déficits récurrents des régimes de retraite et d’assurance maladie sont régulièrement pointés par la Cour des comptes. En 2024, le déficit de la branche retraite s’élevait à plus de 8 milliards d’euros. Par ailleurs, les régions rurales, comme certaines communes du Calvados, constatent un désengagement progressif des services publics. À Lisieux, Jean-Marc Lefèvre, ancien infirmier devenu retraité en 2022, témoigne : Il y a dix ans, on pouvait encore consulter un médecin traitant dans chaque bourg. Aujourd’hui, les centres de santé ferment, les remplaçants ne viennent plus. La Sécurité sociale est de moins en moins visible sur le terrain. Ce recul des services de proximité fragilise la confiance des citoyens dans un système qu’ils perçoivent comme distant, voire défaillant.

Comment les syndicats réagissent-ils à cette situation ?

L’intersyndicale des retraités du Calvados, composée de la CGT, FO, la CFTC et d’autres organisations, a choisi de sortir du silence. Le 30 septembre 2025, lors de la mobilisation à Caen, Sylvie Relland a dénoncé une logique d’austérité qui s’insinue progressivement dans les politiques sociales . Elle insiste sur le fait que le système de répartition n’est pas un simple outil financier, mais un contrat social. Ce n’est pas une machine à produire des chiffres, c’est une promesse faite aux générations : vous travaillerez, vous cotiserez, et vous serez protégés , affirme-t-elle. Pour elle, les réformes successives, notamment celles allongeant l’âge de départ à la retraite ou modifiant les modalités de remboursement des soins, érodent ce contrat. La mobilisation, bien que modeste en nombre, symbolise une résistance morale, un rappel à l’ordre.

Quels impacts concrets sur les retraités et les malades ?

Les effets se font sentir au quotidien. À Caen, Aïcha Bendjelloul, 72 ans, diabétique depuis vingt ans, raconte les difficultés croissantes pour accéder à ses traitements. Avant, tout était remboursé à 100 % si vous étiez en ALD. Aujourd’hui, on vous demande de payer des frais annexes, des consultations spécialisées non couvertes. Je dois faire des choix entre mes médicaments et mes courses. Ce sentiment d’abandon est partagé par de nombreux seniors. De son côté, Thomas Vercors, ancien enseignant retraité dans l’Orne voisine, déplore la perte de repères. Quand j’ai commencé à travailler, on me disait que la retraite, c’était la reconnaissance du travail. Aujourd’hui, on parle de décote, de décote supplémentaire, de pénibilité mal évaluée. On se sent comme un fardeau.

Le système de répartition est-il encore viable à long terme ?

La question divise les experts. Certains, comme le professeur de sciences sociales Damien Rouxel, estiment que le système peut être réformé sans être abandonné. Il faut repenser les modes de financement, peut-être intégrer une part de capitalisation pour les générations futures, mais sans rompre le lien de solidarité. D’autres, comme la sociologue Léa Tisserand, mettent en garde contre une marchandisation rampante de la protection sociale. On assiste à une individualisation des risques : plus on parle d’assurance privée, de complémentaires coûteuses, moins on croit au collectif. Pour elle, la préservation du système de répartition passe par un renouveau politique, une volonté collective de maintenir la solidarité comme valeur fondatrice.

Quelles alternatives sont envisagées ?

Plusieurs pistes sont discutées. Une première consiste à élargir la base de cotisations, en incluant par exemple les revenus du capital ou en révisant les plafonds. Une autre piste, plus radicale, serait de créer un système mixte, combinant répartition et capitalisation, comme dans certains pays nordiques. Mais cette solution inquiète les syndicats. Dès qu’on touche à la capitalisation, on ouvre la porte à la sélection sociale , alerte Sylvie Relland. Une autre idée, portée par des collectifs locaux, est de renforcer la prévention et la santé publique pour réduire les coûts à long terme. À Bayeux, un collectif de retraités a lancé des ateliers de nutrition et d’activité physique, en partenariat avec des centres sociaux. On ne veut pas juste être des bénéficiaires du système, on veut y contribuer activement , explique Martine Chalumeau, l’une des fondatrices.

Quel rôle jouent les jeunes générations dans cette bataille ?

Le sentiment d’urgence n’épargne pas les plus jeunes. En 2025, une partie des étudiants en médecine, comme Lina Kebir, s’interrogent sur l’avenir du système qu’ils devront servir. On nous forme pour soigner, mais on voit les hôpitaux saturés, les remboursements qui baissent, les inégalités qui grandissent. On a peur de devenir des gestionnaires de pénuries plutôt que des soignants. Des mouvements étudiants, comme Génération Solidaire , ont commencé à s’associer aux mobilisations des retraités. Ce n’est pas leur combat, c’est le nôtre aussi , affirme Lina. Cette convergence entre générations, rare mais significative, pourrait devenir un levier essentiel pour défendre le modèle.

Quelles sont les perspectives politiques ?

À l’approche des élections nationales de 2027, la question de la Sécurité sociale monte en puissance dans le débat public. Les partis de gauche appellent à un grand plan de refondation , tandis que certains courants centristes préconisent des réformes structurelles, incluant des ajustements de l’âge de départ ou des incitations à l’épargne retraite. Mais pour beaucoup, ces propositions manquent de vision globale. On parle de chiffres, de ratios, mais on oublie l’humain , regrette Jean-Marc Lefèvre. Les syndicats espèrent que l’anniversaire des ordonnances de 1945 servira de catalyseur pour un débat national profond, au-delà des clivages partisans.

Quelle est la conclusion sur l’avenir de la Sécurité sociale ?

Le système de protection sociale français, né dans les décombres de la guerre pour offrir dignité et sécurité aux citoyens, traverse une période de doutes. Le modèle de répartition, pilier historique, est mis à mal par des réalités économiques et démographiques nouvelles. Pourtant, comme le montrent les mobilisations locales, les témoignages poignants et les initiatives citoyennes, la volonté de le préserver reste vivace. Il ne s’agit pas seulement de sauver un mécanisme financier, mais de défendre une idée de la société : celle où la solidarité prime sur l’individualisme, où la protection n’est pas une marchandise, mais un droit. L’avenir de la Sécurité sociale dépendra moins des rapports techniques que de la capacité collective à renouer avec cette ambition politique et humaine.

A retenir

Le système de répartition est-il en danger de disparition ?

Il n’est pas en voie de disparition immédiate, mais il subit des pressions structurelles fortes liées au vieillissement de la population, aux déficits récurrents et à l’érosion des services publics. Sa viabilité à long terme dépend de réformes équilibrées et d’un engagement politique fort en faveur de la solidarité.

Pourquoi les retraités du Calvados se mobilisent-ils ?

Ils dénoncent une logique d’austérité croissante, des réformes qui allongent la durée de cotisation, et un recul des services de santé de proximité. Leur mobilisation vise à rappeler que la Sécurité sociale est un contrat social, pas une simple machine administrative.

Les jeunes sont-ils concernés par la défense de la Sécurité sociale ?

Oui. Les jeunes générations, notamment les étudiants en santé ou les travailleurs précaires, voient dans la protection sociale un enjeu d’équité et de justice sociale. Leur avenir dépend en grande partie du maintien d’un système solidaire et universel.

Quelles solutions concrètes sont proposées pour sauver le système ?

Les pistes incluent l’élargissement de la base de cotisations, le renforcement de la prévention, un meilleur équilibre entre répartition et capitalisation, et surtout un renouveau du lien de confiance entre les citoyens et les institutions sociales.