Des robots contrôlés par des champignons voient le jour en 2025

Alors que la frontière entre le vivant et l’artificiel devient de plus en plus poreuse, une équipe de chercheurs de l’université de Cornell a franchi une étape décisive dans l’évolution de la robotique. Leur création ? Des robots biohybrides, mi-machines, mi-organismes vivants, contrôlés par le mycélium de champignons capables de répondre à des stimuli lumineux. Ces prototypes, bien qu’encore rudimentaires, ouvrent la voie à une nouvelle ère technologique où les machines ne seraient plus seulement programmées, mais dotées d’une certaine forme d’adaptabilité biologique. Cette avancée soulève à la fois des espoirs considérables et des questions complexes sur notre rapport à la vie, à la technologie et à l’environnement.

Comment les champignons contrôlent-ils des robots ?

Le cœur de l’innovation réside dans l’utilisation du mycélium, réseau filamenteux invisible à l’œil nu qui constitue la partie végétative des champignons. Contrairement aux robots traditionnels, qui dépendent de capteurs électroniques et d’algorithmes rigides, les biohybrides de Cornell exploitent les propriétés électrophysiologiques naturelles de ces organismes. Lorsqu’un champignon est exposé à un signal lumineux – par exemple, une simple lampe-torche –, son mycélium génère des impulsions électriques. Ces signaux sont ensuite captés, interprétés et convertis en commandes mécaniques par un microcontrôleur intégré au robot.

L’un des modèles testés prend la forme d’une étoile de mer robotique. Sous l’effet de la lumière, ses bras se contractent de manière répétée, lui permettant d’avancer lentement sur une surface plane. Un autre prototype, circulaire, roule sur lui-même. Si leurs mouvements paraissent modestes, leur intérêt réside dans leur capacité à réagir de manière autonome à des changements d’environnement. « Ce n’est pas un simple interrupteur », précise Élise Tardieu, bio-ingénieure spécialisée en systèmes vivants à l’Institut des sciences du vivant de Grenoble. « Le champignon perçoit la lumière, s’adapte à son intensité, et modifie sa réponse électrique en conséquence. C’est une forme de traitement d’information organique, presque rudimentaire, mais fascinante. »

Les champignons, souvent sous-estimés, appartiennent à un règne à part, distinct des plantes et des animaux. Leur biologie leur permet de survivre dans des conditions extrêmes – absence de lumière, températures glaciales, milieux radioactifs – ce qui en fait des candidats idéaux pour des applications où la fiabilité et la résilience sont cruciales.

Pourquoi choisir des champignons plutôt que des cellules animales ?

Les tentatives précédentes d’intégrer des cellules vivantes dans des systèmes robotiques ont souvent utilisé des tissus musculaires synthétisés à partir de cellules animales. Ces approches, bien que prometteuses, se heurtent à des difficultés majeures : la nécessité d’un environnement strictement contrôlé, la fragilité des cellules, et un besoin constant de nutriments. En revanche, les champignons, comme l’a démontré l’équipe de Cornell, peuvent survivre plus d’un mois dans des conditions simplifiées, sans milieu nutritif complexe ni température régulée.

« Les champignons sont des survivants », souligne Malik Benjelloun, microbiologiste et consultant en biotechnologie. « Ils poussent sur des déchets organiques, dans l’obscurité, et peuvent même dégrader des polluants. Intégrer cette robustesse dans un robot, c’est comme doter une machine d’un système immunitaire. »

Cette capacité à fonctionner dans des environnements hostiles ou instables est précisément ce qui rend les robots biohybrides si prometteurs. Leur mode de contrôle biologique, bien que moins rapide qu’un processeur électronique, offre une souplesse d’adaptation que les machines classiques n’ont pas. Par exemple, un champignon exposé à une lumière intermittente peut ajuster sa réponse électrique en fonction de la fréquence des impulsions, un comportement qui pourrait être exploité pour programmer des réactions conditionnées.

Quelles applications concrètes dans l’agriculture ?

Un des domaines les plus immédiats pour ces robots biohybrides est l’agriculture de précision. Imaginons des petits dispositifs autonomes, enfouis dans les champs, capables de détecter naturellement la présence de nutriments, de polluants ou de stress hydrique dans le sol. Grâce à leur sensibilité chimique, les champignons pourraient analyser l’environnement en temps réel et déclencher une action : libérer un engrais, activer un système d’irrigation localisé, ou envoyer un signal d’alerte.

Camille Lenoir, agricultrice bio dans le Lot-et-Garonne, s’enthousiasme à cette idée : « On passe notre temps à analyser les sols, à tester les nitrates, à anticiper les carences. Si des robots pouvaient faire ce travail en continu, en s’adaptant aux saisons et aux conditions météo, ce serait une révolution. Et surtout, ils pourraient nous éviter de surutiliser des produits, ce qui pollue les rivières et favorise les marées vertes. »

En effet, l’excès d’azote dans les cours d’eau, souvent causé par une fertilisation excessive, est à l’origine de proliférations d’algues nuisibles. Des robots biohybrides capables de libérer des nutriments uniquement quand ils sont nécessaires pourraient réduire drastiquement cet impact environnemental.

Et dans l’exploration spatiale ?

Le potentiel spatial de ces robots est encore plus spectaculaire. Dans les environnements extraterrestres – Mars, la Lune, ou même des satellites comme Europe –, les conditions sont hostiles, imprévisibles, et souvent inaccessibles aux robots classiques. Les biohybrides, eux, pourraient survivre là où les machines électroniques tombent en panne.

« Les champignons ont été testés dans des simulateurs de conditions martiennes », explique Noémie Chauvet, astrobiologiste au CNES. « Certains d’entre eux résistent à des niveaux de radiation extrêmes, au vide partiel, et à des températures de -80°C. Si on peut les intégrer à des robots capables de se déplacer, de collecter des échantillons, ou même de se réparer partiellement, cela change la donne pour les missions autonomes. »

Un scénario envisagé par les chercheurs : des bio-robots envoyés dans des cavernes souterraines martiennes, où la lumière est faible mais présente. Grâce à des LED embarquées ou à la lumière du soleil filtrée, ils pourraient avancer, analyser la composition du sol, et transmettre des données sans dépendre de batteries classiques. Leur composant vivant pourrait même, à long terme, être régénéré à partir de ressources locales, comme des déchets organiques ou de la matière carbonée.

Quels sont les défis techniques à surmonter ?

Malgré leur potentiel, les robots biohybrides en sont encore au stade expérimental. Leur réactivité reste limitée : les signaux électriques du mycélium sont faibles et difficiles à amplifier sans endommager l’organisme. De plus, la communication entre le champignon et le système mécanique n’est pas encore fiable sur le long terme. « On parle d’impulsions de quelques millivolts », précise Malik Benjelloun. « Il faut des amplificateurs ultra-sensibles, et même là, le bruit de fond peut interférer. »

Un autre défi est la durée de vie. Bien que l’équipe de Cornell ait maintenu un champignon actif pendant plus d’un mois, ce n’est pas suffisant pour des missions spatiales ou agricoles à long terme. Les chercheurs travaillent sur des systèmes de régénération du mycélium, ou sur des modèles où plusieurs champignons sont intégrés en réseau, permettant une redondance naturelle.

Enfin, l’autonomie énergétique reste un obstacle. À ce jour, les robots doivent être alimentés par une source externe d’électricité pour fonctionner, même si le champignon fournit les signaux de contrôle. L’objectif est de parvenir à des systèmes entièrement autonomes, où le champignon produirait à la fois les signaux et une partie de l’énergie nécessaire – une piste explorée via la bioélectricité naturelle des champignons.

Quelles implications éthiques soulève cette technologie ?

L’utilisation d’organismes vivants comme composants de machines soulève des questions éthiques inédites. Les champignons ont-ils une forme de sensibilité ? Faut-il considérer leur bien-être ? Si ces organismes ne possèdent pas de système nerveux central, leur capacité à répondre à des stimuli rappelle des comportements que l’on associe, chez d’autres espèces, à une forme de perception.

« On ne parle pas d’animaux, mais de formes de vie complexes », nuance Élise Tardieu. « Le mycélium communique, s’adapte, prend des décisions. En l’intégrant à une machine, on crée un hybride dont on ne maîtrise pas entièrement le comportement. C’est une forme de domestication du vivant, et il faut en mesurer les conséquences. »

Des comités d’éthique commencent à s’intéresser à ces questions. Le risque, selon certains, serait de normaliser l’exploitation de formes de vie sans en comprendre les limites. « Ce n’est pas un composant électronique qu’on jette à la fin de sa vie », insiste Camille Lenoir. « C’est un organisme qui a grandi, réagi, vécu. On ne peut pas le traiter comme un bout de plastique. »

Quel avenir pour la robotique biohybride ?

L’innovation de Cornell n’est qu’un premier pas. Elle ouvre la voie à une nouvelle génération de machines vivantes, capables de s’adapter, d’apprendre, et peut-être un jour, de se reproduire. Des laboratoires au Japon, en Allemagne et en France explorent déjà des pistes similaires : intégration de bactéries dans des capteurs, création de peaux artificielles à base de tissus fongiques, ou encore développement de circuits vivants capables de stocker de l’information.

« On entre dans une ère post-mécanique », estime Noémie Chauvet. « Les machines ne seront plus seulement des outils, mais des partenaires biologiques. Et peut-être, un jour, des formes de vie à part entière. »

Les robots biohybrides pourraient transformer des secteurs entiers : agriculture durable, exploration spatiale, dépollution, médecine régénérative. Mais leur développement devra s’accompagner d’une réflexion profonde sur notre rapport au vivant, à la technologie, et à la responsabilité que nous avons en façonnant des hybrides inédits.

A retenir

Qu’est-ce qu’un robot biohybride ?

Un robot biohybride est une machine qui combine des composants mécaniques ou électroniques avec des éléments vivants, comme des cellules ou des tissus. Dans le cas des robots de Cornell, le mycélium de champignons sert d’interface entre le stimulus lumineux et le mouvement mécanique.

Comment les champignons réagissent-ils à la lumière ?

Le mycélium des champignons génère des impulsions électriques en réponse à des changements d’environnement, dont la lumière. Ces signaux sont captés par un microcontrôleur qui les traduit en actions mécaniques, comme une contraction ou une rotation.

Pourquoi les champignons sont-ils plus efficaces que d’autres cellules vivantes ?

Les champignons sont extrêmement résistants, capables de survivre dans des conditions extrêmes (froid, salinité, radiation) et nécessitent peu de ressources pour rester viables. Contrairement aux cellules animales, ils ne demandent pas de milieu nutritif complexe ni de température constante.

Quelles applications sont envisagées ?

Les principales applications se situent dans l’agriculture de précision (analyse du sol, gestion des engrais) et l’exploration spatiale (robots autonomes pour des environnements hostiles). D’autres pistes, comme la dépollution ou la médecine, sont également explorées.

Quels sont les principaux défis ?

Les défis incluent l’amélioration de la sensibilité et de la fiabilité des signaux biologiques, l’allongement de la durée de vie des organismes, et le développement de systèmes autonomes en énergie. Des questions éthiques sur l’usage du vivant dans les machines doivent également être abordées.