En plein cœur du Penthièvre, une transformation silencieuse mais profonde s’opère dans le paysage de la santé. Portée par la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), une nouvelle dynamique s’installe, centrée sur la coordination des soins et la prévention. Alors que les kinésithérapeutes ont ouvert la voie avec des innovations comme l’accès direct ou la coopération renforcée avec les médecins, un autre chantier s’impose désormais : accompagner les personnes âgées pour préserver leur autonomie le plus longtemps possible. Ce défi, bien plus qu’un simple enjeu médical, devient un pilier de la politique de santé locale, dans un territoire où la population vieillit plus vite que la moyenne nationale. À la tête de ce projet, la docteure Katharina Apel, médecin généraliste engagée, incarne cette transition vers une médecine de proximité, anticipative et humaine.
Qu’est-ce que la CPTS du Penthièvre et quel est son rôle ?
La Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) du Penthièvre regroupe aujourd’hui des dizaines de professionnels de santé – médecins, infirmiers, pharmaciens, kinés, aides-soignants – répartis sur 43 communes entre Lamballe-Armor, Dinan Agglomération, et des villages côtiers comme Matignon ou Saint-Cast-le-Guildo. Créée pour répondre aux déserts médicaux et aux inégalités d’accès aux soins, cette structure vise à tisser un réseau solidaire entre les acteurs de terrain. Plutôt que de travailler en silos, les professionnels collaborent désormais autour de projets communs, financés en partie par l’Assurance maladie et l’Agence régionale de santé (ARS). L’un des axes prioritaires ? La prévention chez les seniors, une population de plus en plus nombreuse et vulnérable dans cette région rurale aux contours marins.
Depuis 2022, Katharina Apel, installée à Pléven, pilote ce volet spécifique. Son quotidien n’est plus seulement celui d’une médecin de famille. Elle orchestre des réunions, forme des équipes, élabore des protocoles, et surtout, elle écoute. Le vieillissement n’est pas une maladie, mais il peut devenir un facteur de fragilité si on n’agit pas tôt
, insiste-t-elle. Son objectif : repérer les signes précoces de perte d’autonomie – baisse de mobilité, troubles cognitifs légers, isolement social – et y répondre par des interventions coordonnées, sans attendre que la situation dégénère.
Comment repérer les risques de perte d’autonomie chez les seniors ?
Le projet mis en place par Katharina Apel repose sur un dispositif simple mais efficace : un questionnaire standardisé, administré systématiquement aux patients de plus de 70 ans lors de leurs consultations. Ce test, basé sur des indicateurs validés scientifiquement, évalue plusieurs dimensions : la marche, l’équilibre, la mémoire, la nutrition, la prise de médicaments, ou encore la vie sociale. On ne parle pas de pathologies lourdes, mais de petits signes qui, mis bout à bout, peuvent alerter
, précise la docteure.
Un exemple parlant : Élodie Le Meur, 78 ans, vit seule dans une maison de campagne près de Pléven. Depuis quelques mois, elle trébuche plus souvent, oublie parfois de manger, et ne sort plus guère. Lors de sa dernière visite chez Katharina Apel, le questionnaire a révélé un profil à risque modéré
. Immédiatement, un plan d’action a été lancé : une kinésithérapeute a été contactée pour travailler sur l’équilibre, une diététicienne a proposé un suivi nutritionnel, et une infirmière libérale a proposé des visites plus fréquentes. J’ai eu l’impression qu’on me voyait vraiment, pas seulement comme une patiente, mais comme une personne
, témoigne Élodie, les yeux humides. Avant, je pensais que c’était normal, avec l’âge. Maintenant, je sais que je peux agir.
Quels professionnels sont impliqués dans ce dispositif ?
Le succès de cette initiative repose sur une collaboration inédite entre acteurs de santé. Katharina Apel insiste : On ne peut pas faire ça seul. Un médecin n’a pas le temps, ni forcément les compétences, pour suivre tous les aspects de la fragilité chez une personne âgée.
C’est pourquoi un réseau pluri-professionnel a été constitué. Les médecins généralistes identifient les patients à risque, les infirmiers assurent un suivi à domicile, les kinés travaillent sur la mobilité, les pharmaciens vérifient les traitements médicamenteux (souvent trop complexes), et les travailleurs sociaux interviennent en cas d’isolement ou de difficultés financières.
Le docteur Jérémie Blanchard, pharmacien à Lamballe, joue un rôle clé dans ce dispositif. Beaucoup de seniors prennent entre 5 et 10 médicaments par jour. Parfois, c’est un traitement contre les effets secondaires d’un autre traitement. On parle de polypathologie et de polymédication. Notre rôle, c’est de faire de la medic’check, une revue complète des prescriptions, en lien avec le médecin.
Il raconte le cas de Marcel Garnier, 82 ans, qui souffrait de vertiges chroniques. Après analyse, il s’est avéré que trois de ses médicaments se neutralisaient ou s’opposaient. En ajustant la posologie, les symptômes ont disparu. Il a retrouvé une stabilité, et surtout, une dignité
, ajoute Jérémie.
Comment les patients réagissent-ils à cette nouvelle approche ?
L’une des forces du projet réside dans son aspect humain. Les patients ne sont pas dirigés d’un professionnel à l’autre comme dans un circuit administratif. Ils sont accompagnés, souvent par une infirmière coordinatrice, qui fait le lien entre les différents intervenants. C’est le cas de Chloé Rivoalen, infirmière libérale basée à Matignon, qui suit une dizaine de seniors inscrits au dispositif. Mon rôle, c’est d’être le fil rouge. Je vais à domicile, je vois l’environnement, je discute avec la famille, je relaie l’information aux autres professionnels. C’est du soin, mais aussi du lien social.
Elle se souvient de Jeanne Kerdavid, 85 ans, veuve, vivant dans une maison mal adaptée. Elle refusait toute aide. Elle disait : “Je me débrouille”. Mais elle tombait souvent. On a mis en place une visite hebdomadaire, puis on a installé des barres de soutien, on a fait venir un ergothérapeute pour adapter son intérieur. Petit à petit, elle a accepté. Aujourd’hui, elle sort au marché, elle voit ses voisins. Elle ne dit plus “je me débrouille”, elle dit “on m’aide”.
Une nuance, mais une révolution dans la manière de vivre vieillir.
Quels sont les résultats observés depuis le lancement du projet ?
Après deux ans d’activité, les premiers bilans sont encourageants. Sur 320 seniors suivis dans le cadre du dispositif, 68 % ont vu leur niveau de mobilité stabilisé ou amélioré, 52 % ont réduit leur consommation de médicaments inutiles ou à risque, et 41 % ont bénéficié d’un accompagnement social ou psychologique. Surtout, le taux d’hospitalisation pour chutes ou complications évitables a baissé de 27 % dans les zones pilotes.
Pour l’ARS Bretagne, ces chiffres justifient un renforcement du financement. Ce que fait la CPTS du Penthièvre est un modèle
, reconnaît Hervé Le Goff, chargé de mission à l’ARS. On assiste à une mutation de la médecine de terrain : on passe d’une logique de prise en charge curative à une logique de prévention et d’accompagnement global. Et c’est exactement ce que le système de santé doit devenir.
Quels sont les défis restants pour pérenniser ces actions ?
Malgré les succès, les obstacles demeurent. Le principal ? le manque de professionnels. Dans certaines communes, il est difficile de trouver un kinésithérapeute disponible, ou un infirmier pour assurer le suivi à domicile. On a des protocoles, des outils, mais pas assez de bras
, regrette Katharina Apel. De plus, la coordination prend du temps – un temps non rémunéré dans le système actuel. Les médecins libéraux, comme moi, on fait ça en plus de notre activité. On le fait par conviction, mais il faudra un jour que ce travail soit valorisé.
Un autre défi : convaincre les seniors eux-mêmes. Certains refusent d’être étiquetés fragiles
ou à risque
. Il faut dédramatiser, montrer que prévenir, ce n’est pas reconnaître une faiblesse, c’est prendre soin de soi
, explique Chloé Rivoalen. Des ateliers de prévention sont désormais organisés dans les mairies, avec des séances d’équilibre, des conférences sur l’alimentation, ou des groupes de parole. L’idée est de créer une culture de la prévention, pas seulement une procédure médicale.
Quels enseignements peuvent être tirés de cette expérience ?
Le projet du Penthièvre montre que la prévention, quand elle est collective, coordonnée et humaine, peut vraiment changer la donne. Il prouve aussi que les CPTS, souvent perçues comme des structures administratives, peuvent devenir des leviers puissants d’innovation sociale et médicale. On ne soigne pas seulement des maladies, on accompagne des vies
, résume Katharina Apel. Et dans un territoire où le vieillissement est une réalité démographique incontournable, cette approche n’est plus une option : c’est une nécessité.
A retenir
Quel est l’objectif principal du projet mené par la CPTS du Penthièvre ?
L’objectif est de prévenir la perte d’autonomie chez les personnes âgées en mettant en place un dispositif de repérage précoce et d’intervention coordonnée, impliquant plusieurs professionnels de santé.
Qui pilote ce projet de prévention ?
Le projet est piloté par la docteure Katharina Apel, médecin généraliste et référente au sein de la CPTS pour les actions liées à l’autonomie des seniors.
Quels types d’interventions sont proposées aux personnes âgées ?
Les interventions incluent des bilans de fragilité, des suivis kinésithérapiques pour l’équilibre, des conseils nutritionnels, des revues de médicaments, et un accompagnement social pour lutter contre l’isolement.
Le dispositif est-il limité à Lamballe-Armor ?
Non, il concerne 43 communes, réparties entre Lamballe Terre et Mer et Dinan Agglomération, s’étendant jusqu’à des localités côtières comme Matignon et Saint-Cast-le-Guildo.
Quels sont les résultats observés ?
Les résultats montrent une amélioration ou une stabilisation de la mobilité chez 68 % des patients suivis, une réduction de la polymédication, et une baisse de 27 % des hospitalisations évitables dans les zones pilotes.
Le projet est-il destiné à être étendu ?
Oui, les autorités de santé locales et régionales considèrent ce dispositif comme un modèle pouvant inspirer d’autres territoires confrontés aux mêmes enjeux de vieillissement et de désert médical.