En 2022, une étude menée par la Direction de la recherche, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a livré un portrait nuancé de la pauvreté et des classes modestes en Europe. S’appuyant sur des données de l’Union européenne concernant le revenu et les conditions de vie, cette enquête a interrogé 31 000 personnes en France, offrant un éclairage précieux sur les inégalités économiques à l’échelle continentale. Au-delà des chiffres, ces données révèlent des réalités sociales profondes, des trajectoires individuelles marquées par les contraintes budgétaires, les difficultés d’accès à l’emploi ou les situations familiales précaires. À travers une analyse croisée des niveaux de vie, des politiques sociales et des témoignages vécus, il devient possible de mieux comprendre ce que signifie être « pauvre » ou « modeste » dans l’Europe du XXIe siècle.
Qu’est-ce que la pauvreté relative en Europe ?
La définition retenue par la Drees et l’Union européenne repose sur la notion de pauvreté relative. Une personne est considérée comme pauvre si son niveau de vie est inférieur à 60 % du revenu médian de son pays. Cette approche ne mesure pas l’indigence absolue, mais plutôt l’exclusion sociale liée à un écart significatif par rapport à la norme nationale. En France, le revenu médian s’établit à 1 900 € nets par mois en 2022. Le seuil de pauvreté est donc fixé à 1 140 € mensuels. Entre 1 140 et 1 420 €, on entre dans la catégorie des « modestes », soit 75 % du revenu médian.
Comment le revenu disponible influence-t-il cette classification ?
Le revenu pris en compte n’est pas le salaire brut, mais le revenu disponible : le revenu initial, augmenté des prestations sociales (allocations logement, RSA, etc.) et diminué des impôts directs. Cette distinction est cruciale, car elle intègre l’effet des politiques de redistribution. En France, le système social joue un rôle tampon, mais il ne suffit pas à sortir tous les ménages de la précarité. Ainsi, 14,3 % de la population française vit sous le seuil de pauvreté, soit près d’un adulte sur sept. Un chiffre qui interroge, dans un pays au développement économique avancé.
Quelle est la situation en France par rapport aux autres pays européens ?
Avec 14,3 % de sa population en situation de pauvreté relative, la France se situe légèrement en dessous de la moyenne européenne, qui atteint 16,9 %. Toutefois, ce classement masque des réalités contrastées. Certains pays parviennent à contenir la pauvreté grâce à des politiques sociales robustes ou à une structure économique plus inclusive.
Quel pays affiche le taux de pauvreté le plus bas ?
La République tchèque arrive en tête avec seulement 8,6 % de sa population considérée comme pauvre, le meilleur score de l’Union européenne. Pourtant, son revenu médian (1 350 €) est inférieur à celui de la France. Ce paradoxe s’explique par une distribution des revenus plus homogène et un taux de chômage structurellement bas. L’accès à l’emploi, même modeste, y est plus généralisé, limitant ainsi les écarts extrêmes.
Où la pauvreté est-elle la plus élevée en Europe ?
À l’opposé, l’Espagne affiche un taux de pauvreté dépassant 20 %, l’un des plus élevés du continent. Le chômage de longue durée, particulièrement chez les jeunes, et un marché du travail dual (entre contrats stables et précaires) contribuent à cette situation. En Allemagne, 17 % des habitants sont classés comme pauvres, un chiffre supérieur à celui de la France, malgré une économie puissante. Ce constat interpelle et montre que la richesse nationale ne se traduit pas automatiquement par une meilleure répartition des ressources.
Quels facteurs aggravent le risque de pauvreté ?
L’étude met en lumière des profils particulièrement vulnérables. La pauvreté ne touche pas de manière uniforme la population : elle épargne rarement les ménages en situation de fragilité structurelle.
Les familles monoparentales sont-elles plus exposées ?
Oui, et de manière significative. 31 % des personnes vivant dans un foyer monoparental sont classées comme pauvres. Ce taux s’explique par la difficulté à concilier emploi et garde d’enfants, souvent sans soutien suffisant. Léa Delorme, mère célibataire de deux enfants à Nantes, témoigne : « Je travaille à temps partiel dans une boulangerie, mais mes revenus, même avec les aides, ne dépassent pas 1 100 € par mois. Chaque fin de mois est une course contre la montre. » Son cas n’est pas isolé : les femmes seules avec enfants représentent une part importante des ménages pauvres.
Les familles nombreuses sont-elles aussi touchées ?
Oui, avec 26 % de pauvreté dans les ménages de trois enfants ou plus. Bien que les allocations familiales en France soient parmi les plus généreuses d’Europe, elles ne compensent pas toujours l’impact du coût de la vie croissant. En région rurale, où les services publics sont distants et les transports coûteux, la pression budgétaire s’accentue. Jean-François Rambert, père de quatre enfants en Haute-Vienne, explique : « On fait attention à tout : l’électricité, la nourriture, les vêtements. Mes enfants ont des rêves, mais moi, je rêve d’un mois sans découvert. »
Le chômage et l’inactivité sont-ils des facteurs déterminants ?
Le lien est direct. 47 % des chômeurs en Europe vivent sous le seuil de pauvreté, et 35 % des personnes dites « inactives » (retraités, malades, invalides, etc.). Ces chiffres reflètent les limites des filets de sécurité sociale. En France, le RSA a vocation à soutenir les plus démunis, mais son montant (environ 550 € pour une personne seule) reste insuffisant pour garantir une vie digne dans certaines zones urbaines. Malik Zidane, ancien ouvrier métallurgiste devenu invalide après un accident du travail, confie : « Je touche une pension d’invalidité, mais elle ne couvre ni le loyer ni les soins. Je dois compter sur ma famille pour survivre. »
Quelle est la place des classes modestes en Europe ?
Les « modestes », dont le revenu se situe entre 60 % et 75 % du revenu médian, forment une catégorie intermédiaire souvent oubliée. En France, ils représentent 12,6 % de la population. Ce sont des travailleurs précaires, des retraités aux pensions limitées, des indépendants aux revenus fluctuants. Ils ne bénéficient pas toujours des aides sociales, car leurs revenus dépassent les plafonds, mais ils accumulent peu ou pas d’épargne.
Qui sont les « working poor » en France ?
Les « pauvres actifs » ou « working poor » sont une réalité croissante. Ce sont des personnes employées, parfois à temps plein, mais dont le salaire ne permet pas de sortir de la précarité. Le salaire minimum, même avec les aides au logement, ne suffit pas toujours. Clémence Berthier, caissière dans un supermarché près de Lyon, perçoit 1 380 € net après prime. « Je suis au-dessus du seuil de pauvreté, donc je n’ai pas droit à certaines aides, mais je ne me sens pas “moins modeste”. Je ne peux pas partir en vacances, ni m’offrir un repas au restaurant. »
Quelles politiques peuvent réduire la pauvreté ?
L’étude de la Drees ne propose pas de solutions, mais elle fournit des pistes. Les pays avec les taux de pauvreté les plus bas combinent souvent emploi stable, protection sociale efficace et accès élargi à l’éducation. La République tchèque, par exemple, a investi dans la formation professionnelle et les emplois de proximité.
Le système français est l’un des plus redistributifs d’Europe, mais il peine à enrayer la pauvreté persistante. Les aides sont complexes à obtenir, et les délais d’instruction peuvent laisser des ménages dans le vide plusieurs mois. De plus, le logement, principal poste de dépense, reste inaccessible pour beaucoup. Selon une estimation, un loyer modéré en Île-de-France équivaut déjà à 60 % du revenu médian. « On peut dire que les aides existent, mais elles arrivent trop tard ou pas assez », souligne Agnès Vasseur, travailleuse sociale à Marseille.
Quel rôle pour l’emploi ?
L’accès à un emploi stable et bien rémunéré reste le meilleur levier contre la pauvreté. Pourtant, la qualité de l’emploi est cruciale. Un CDI à 1 500 € avec des charges élevées ne garantit pas une sortie durable de la précarité. Des initiatives locales, comme les coopératives ou les emplois d’insertion, montrent des résultats prometteurs, mais elles manquent de financement à grande échelle.
Conclusion
La pauvreté en Europe n’est pas une fatalité, mais elle reste une réalité complexe, façonnée par les politiques économiques, les structures familiales et les inégalités territoriales. En France, près d’un adulte sur sept vit sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui interpelle dans un pays riche. L’étude de la Drees rappelle que derrière chaque pourcentage, il y a des vies, des choix contraints, des dignités mises à mal. Comprendre ces enjeux, c’est le premier pas vers des politiques plus justes, plus humaines, et surtout plus efficaces.
A retenir
Quel est le seuil de pauvreté en France ?
Le seuil de pauvreté en France est fixé à 1 140 € nets par mois, soit 60 % du revenu médian (1 900 €). Ce montant correspond au revenu disponible, après prélèvements et prestations sociales.
Quel pays européen a le moins de pauvreté ?
La République tchèque affiche le taux le plus bas d’Europe, avec 8,6 % de sa population en situation de pauvreté relative, malgré un revenu médian inférieur à celui de la France.
Quels profils sont les plus touchés par la pauvreté ?
Les familles monoparentales (31 %), les familles nombreuses (26 %), les chômeurs (47 %) et les inactifs (35 %) sont les plus exposés à la pauvreté en Europe.
Que signifie être « modeste » en France ?
Être modeste signifie avoir un revenu disponible compris entre 1 140 € et 1 420 € par mois. Cette catégorie représente 12,6 % de la population française.
La France est-elle mieux lotie que la moyenne européenne ?
Oui, légèrement. Avec 14,3 % de pauvres, la France est en dessous de la moyenne européenne (16,9 %), mais elle reste confrontée à des inégalités structurelles, notamment dans les zones urbaines et rurales défavorisées.