En 2028, Mars pourrait devenir le théâtre d’une révolution silencieuse dans le ciel rouge. Six petits hélicoptères, légers comme des libellules terrestres mais conçus pour affronter les vents ténus de la planète, pourraient s’élancer dans l’atmosphère martienne, non pas pour impressionner, mais pour préparer le terrain à l’arrivée des premiers humains. Ce n’est pas de la science-fiction : la mission Skyfall, fruit d’un partenariat entre AeroVironment, Inc. et le Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, incarne une nouvelle génération d’exploration spatiale, audacieuse, agile et stratégique. Inspirée par le succès retentissant d’Ingenuity, ce petit pionnier qui a volé 72 fois au-dessus du cratère Jezero, Skyfall veut aller plus loin — en nombre, en autonomie, en impact. Ce projet ne vise pas seulement à cartographier la surface martienne, mais à repérer les zones les plus sûres et les plus prometteuses pour l’avenir de l’humanité sur un autre monde.
Comment Skyfall s’inscrit-elle dans la lignée du succès d’Ingenuity ?
L’hélicoptère Ingenuity, arrivé sur Mars en février 2021, n’était censé effectuer que cinq vols expérimentaux. Il en a réalisé 72, parcourant plus de cinq kilomètres dans un environnement où la pression atmosphérique est équivalente à celle que l’on trouve à 30 kilomètres d’altitude sur Terre. Son exploit a prouvé que le vol motorisé était possible sur une autre planète. Ce fut un moment historique, comparable à celui où les frères Wright ont décollé à Kitty Hawk. Pour Élise Vasseur, ingénieure en aérodynamique au CNES, « Ingenuity a changé la donne. Il n’était pas là pour faire de la science, mais pour prouver qu’on pouvait voler. Et il a réussi au-delà de toute attente ».
Skyfall reprend ce flambeau, mais avec une ambition bien plus grande. Plutôt que d’accompagner un rover comme Ingenuity, les six hélicoptères de Skyfall seront déployés indépendamment, en plein vol, grâce à une manœuvre inédite baptisée « Skyfall maneuver ». Cette technique consiste à larguer les engins depuis un module en descente, éliminant ainsi la phase critique de l’atterrissage sur la surface. Moins de risques, moins de poids, moins de coût. « C’est une rupture conceptuelle », explique Malik Bencherif, chercheur en robotique spatiale à l’Université de Toulouse. « On passe d’un modèle où chaque robot est une mission en soi à une approche en essaim, où la redondance devient une force. Si l’un tombe, les autres continuent. »
Quel rôle joueront les hélicoptères Skyfall sur Mars ?
Les six hélicoptères de Skyfall ne seront pas des simples curieux. Chaque appareil, d’environ deux kilos, sera équipé de caméras haute résolution, de capteurs de terrain et de radars capables de sonder les couches superficielles du sol martien. Leur mission principale ? Identifier les sites d’atterrissage futurs pour les missions habitées. « L’atterrissage d’un vaisseau humain sur Mars est l’une des opérations les plus dangereuses jamais envisagées », souligne Camille Roche, planétologue au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. « Une roche cachée, une pente trop prononcée, un terrain instable — tout peut compromettre la sécurité des astronautes. Skyfall permettrait de cartographier ces zones avec une précision inédite. »
Les engins survoleront des régions comme Valles Marineris, Utopia Planitia ou Hellas Planitia — des zones vastes, mal explorées, mais potentiellement riches en glace d’eau. En quelques semaines, un hélicoptère Skyfall pourrait couvrir une distance équivalente à plusieurs années de déplacement d’un rover. C’est cette rapidité qui fait toute la valeur du projet. « Imaginez six éclaireurs qui volent en parallèle, se relayant, couvrant des milliers de kilomètres carrés », décrit Malik Bencherif. « Ils pourraient détecter des anomalies géologiques, repérer des sources d’eau souterraine, voire des structures qui mériteraient une visite humaine. »
Comment Skyfall pourrait-elle aider à répondre à la question de la vie sur Mars ?
Depuis des décennies, les scientifiques se demandent si Mars a un jour abrité la vie. Des traces de rivières anciennes, des minéraux formés en présence d’eau, des molécules organiques détectées par Curiosity — tout indique que la planète a pu être habitable. Mais la preuve manque. Skyfall, bien que non conçue pour analyser directement des échantillons, pourrait jouer un rôle clé dans cette quête. En identifiant des sites où l’eau a pu stagner longtemps, ou où des sédiments organiques sont présents, elle orienterait les futures missions vers les endroits les plus probables.
« Ce n’est pas un laboratoire volant », précise Élise Vasseur, « mais un guide. Il peut nous dire : ‘Allez ici, c’est là que ça vaut la peine de creuser’. » Une anecdote racontée par Camille Roche illustre cette idée : « Pendant une simulation en Arizona, un prototype similaire a repéré, en survol, une zone de subsidence qui s’est révélée être un ancien lit de lac asséché. Sans le survol, on l’aurait manquée. Skyfall, c’est ce genre de coup de chance multiplié par six. »
Quelle est la concurrence autour de l’exploration aérienne de Mars ?
La réussite d’Ingenuity a ouvert une course technologique discrète mais intense. En décembre 2023, la NASA a dévoilé un autre projet, surnommé « Mars Chopper » : un hélicoptère de la taille d’un SUV, doté de six rotors, capable de transporter jusqu’à 5 kilogrammes de matériel scientifique et de parcourir 3 kilomètres par jour martien. Ce géant, en développement au JPL, cible des missions plus lourdes, orientées vers la collecte d’échantillons ou l’appui logistique à des bases humaines.
« Skyfall et Mars Chopper ne sont pas rivaux, mais complémentaires », analyse Malik Bencherif. « Skyfall est un éclaireur, léger, rapide, économique. Mars Chopper est un transporteur, plus lent, plus puissant. Ensemble, ils pourraient former une chaîne d’exploration aérienne complète. » D’autres agences, comme l’ESA ou des consortiums privés européens, étudient aussi des drones martiens. Le Japon envisage même un drone à propulsion solaire capable de rester en vol quasi permanent. « On entre dans l’ère de la mobilité aérienne sur Mars », résume Camille Roche. « Ce n’est plus une question de “si”, mais de “quand” et “comment”. »
Pourquoi la manœuvre Skyfall est-elle une avancée stratégique ?
La manœuvre Skyfall, qui donne son nom à la mission, est un saut technologique majeur. Traditionnellement, les engins envoyés sur Mars doivent atterrir en douceur, ce qui nécessite des parachutes, des airbags ou des systèmes de freinage complexe comme le “sky crane” utilisé par Perseverance. Ces systèmes sont coûteux, lourds et sujets à défaillance. Skyfall propose une alternative radicale : larguer les hélicoptères depuis un module en descente, sans qu’ils touchent le sol. Ils se déploient en vol, activent leurs rotors et commencent immédiatement leur mission.
« C’est un peu comme parachuter des drones au-dessus d’une forêt », compare Élise Vasseur. « Vous n’avez pas besoin de poser l’avion, juste de les lancer au bon moment. » Cette méthode réduit considérablement le poids du module principal, permettant d’embarquer plus de carburant ou d’instruments. Elle ouvre aussi la possibilité d’explorer des zones inaccessibles aux rovers : cratères abrupts, canyons, régions polaires. « On peut imaginer un jour lancer des dizaines de micro-drones depuis une orbite basse », ajoute Malik Bencherif. « Ce serait une nouvelle manière de coloniser l’espace : pas par grandes missions coûteuses, mais par des vagues de petits robots intelligents. »
Quel impact Skyfall pourrait-elle avoir sur les missions humaines vers 2030 ?
La fenêtre d’envoi d’humains vers Mars se dessine autour de 2030. Mais avant cela, il faut des données fiables. Où atterrir ? Où trouver de l’eau ? Quels terrains sont stables ? Skyfall pourrait fournir ces réponses. « Les astronautes ne partiront pas à l’aveugle », affirme Camille Roche. « Ils auront des cartes, des vidéos, des analyses de terrain. Et une grande partie de ces données viendra peut-être de six petits hélicoptères qui ont volé des mois avant leur arrivée. »
Un ancien astronaute, Thomas Lefebvre, qui a participé aux simulations de missions martiennes à l’ESA, raconte : « Pendant nos entraînements, on nous montrait des images prises par Curiosity ou Perseverance. Très utiles, mais statiques. Imaginez si on avait eu des vidéos aériennes en temps réel, montrant le relief, les obstacles, les zones d’ombre… On se sentirait bien plus préparés. » Skyfall, en ce sens, ne serait pas seulement un outil scientifique, mais un outil de sécurité humaine.
Quelles sont les limites et les risques du projet ?
Pour toutes ses promesses, Skyfall n’est pas sans risques. L’atmosphère martienne, extrêmement fine, rend le vol difficile. Les températures chutent à -100 °C la nuit. Les poussières peuvent encrasser les mécanismes. Et la communication avec la Terre est soumise à un délai de plusieurs minutes. Les hélicoptères devront donc être hautement autonomes. « Ils devront décider seuls quand voler, où aller, comment éviter un rocher », explique Malik Bencherif. « L’intelligence artificielle embarquée devra être redoutablement fiable. »
Par ailleurs, le déploiement en vol n’a jamais été testé. Une erreur de synchronisation, un mauvais angle de lancement, et un hélicoptère pourrait s’écraser avant même d’avoir commencé. « C’est un pari », reconnaît Élise Vasseur. « Mais c’est un pari que la science doit parfois prendre. Ingenuity était aussi un pari. Et il a gagné. »
A retenir
Quelle est l’ambition principale de la mission Skyfall ?
La mission Skyfall vise à déployer six hélicoptères autonomes sur Mars pour cartographier des sites d’atterrissage potentiels, repérer des ressources comme l’eau, et préparer l’arrivée des premiers humains sur la planète rouge. Elle repose sur une nouvelle méthode de déploiement en vol, plus sûre et plus économique.
Pourquoi six hélicoptères et non un seul ?
L’utilisation d’un essaim de six hélicoptères permet une couverture plus étendue, une redondance en cas de panne, et une collecte de données plus rapide. Chaque appareil peut explorer une zone différente, multipliant les chances de découvertes.
Quel lien existe-t-il entre Skyfall et Ingenuity ?
Skyfall s’inspire directement du succès d’Ingenuity, qui a prouvé que le vol motorisé sur Mars était possible. Elle en reprend les principes, mais les pousse plus loin en termes d’autonomie, de nombre d’engins et d’objectifs stratégiques.
Quand la mission Skyfall pourrait-elle être lancée ?
La mission est envisagée pour un lancement en 2028, avec une arrivée sur Mars peu de temps après. Les données recueillies serviraient alors à préparer les missions humaines prévues autour de 2030.
Quel rôle jouent AeroVironment et le JPL dans ce projet ?
AeroVironment, entreprise spécialisée dans les drones légers, conçoit les hélicoptères. Le Jet Propulsion Laboratory de la NASA supervise la mission, fournit l’expertise spatiale et coordonne l’intégration avec les autres systèmes d’exploration martienne.