Un mot, une faute, une confusion. Parfois, c’est à ce niveau microscopique que se joue la crédibilité d’un texte. Parmi les expressions courantes que l’on croit maîtriser, « soi-disant » fait régulièrement trébucher. Pourtant, son orthographe et son usage obéissent à des règles précises, souvent ignorées par méconnaissance ou par automatisme. Derrière cette petite tournure se cache une subtilité linguistique qui, une fois bien comprise, peut transformer un énoncé approximatif en une phrase claire, juste et percutante. À travers des exemples concrets, des témoignages réels et une analyse fine, découvrons pourquoi « soi-disant » mérite plus d’attention qu’on ne le pense.
Comment orthographie-t-on correctement « soi-disant » ?
La réponse est simple, mais souvent ignorée : on écrit « soi-disant », sans T à la fin de « soi ». Ce détail, anodin en apparence, change tout. Le mot « soi » n’est pas un verbe, il ne vient pas de « être », contrairement à ce que pourrait suggérer la tentation d’écrire « soit-disant ». Il s’agit d’un pronom réfléchi, utilisé lorsqu’on parle d’une personne sans la nommer explicitement. Il est présent dans des expressions comme « chacun pour soi » ou « se regarder dans le miroir de soi », où personne n’ajouterait un T par erreur.
Camille Lefebvre, enseignante de lettres en Seine-Saint-Denis, l’observe chaque année dans ses copies : « Mes élèves écrivent souvent “soit-disant”, convaincus que cela sonne mieux. Mais quand je leur montre que “chacun pour soi” ne devient pas “chacun pour soit”, ils comprennent instantanément. C’est une question de logique, pas seulement de règle. » Ce parallèle fonctionne comme un déclic : si on n’ajoute pas de T dans « chacun pour soi », pourquoi en mettre un dans « soi-disant » ? La cohérence grammaticale l’exige.
Pourquoi la confusion entre « soi » et « soit » persiste-t-elle ?
La langue française regorge de pièges phonétiques. « Soi » et « soit » se prononcent exactement de la même manière, ce qui explique en partie l’erreur récurrente. Mais « soit » a un usage bien distinct : il appartient aux formes du verbe « être » au subjonctif présent (« qu’il soit fait selon ta volonté ») ou sert de conjonction de coordination (« soit tu viens, soit tu restes »). Dans « soi-disant », aucun de ces cas ne s’applique. Le mot « soi » est ici un pronom, pas une forme verbale.
Thomas Rivières, journaliste culturel à Lyon, se souvient d’un incident embarrassant : « J’avais envoyé un article avec “soit-disant expert”, et mon rédacteur en chef m’a rappelé à l’ordre. Il m’a dit : “Tu as transformé un pronom en verbe par simple homophonie.” C’était humiliant, mais ça m’a marqué. Depuis, je vérifie toujours. » Cette histoire illustre bien la fragilité de l’écriture : une erreur de sonorité, même minime, peut entacher la crédibilité d’un professionnel.
Le mot s’accorde-t-il selon le genre ou le nombre ?
Non. « Soi-disant » est invariable. Cette règle, stabilisée depuis le XIXe siècle, met fin à une pratique ancienne d’accord qui perdurait encore au temps de Voltaire. Autrefois, on pouvait lire « une soi-disante artiste » ou « des soi-disants amis », mais l’usage a évolué. Aujourd’hui, quelle que soit la personne désignée — homme, femme, singulier ou pluriel —, la forme reste « soi-disant ».
Preuve en est, dans une note de service interne d’un cabinet d’avocats parisien, on pouvait lire : « Ce soi-disant spécialiste du droit fiscal a été démasqué. » Le mot n’a pas été accordé, même si le sujet est masculin singulier. Et dans un reportage sur les influenceurs, la journaliste écrivait : « Ces soi-disant nutritionnistes n’ont parfois aucune formation médicale. » Ici, le pluriel n’entraîne aucun changement. L’invariabilité renforce la stabilité de l’expression et évite les lourdeurs inutiles.
Pourquoi utiliser « soi-disant » plutôt que « prétendu » ?
Le choix entre « soi-disant » et « prétendu » n’est pas seulement stylistique : il relève du sens. « Soi-disant » implique que la personne elle-même revendique un statut, une qualité ou une identité. Elle se présente comme médecin, expert, artiste, etc. Le mot pointe du doigt une auto-attribution discutable. En revanche, « prétendu » est utilisé lorsque c’est autrui qui attribue une qualité à quelqu’un — souvent de manière mensongère ou non vérifiée —, sans que cette personne ait nécessairement revendiqué quoi que ce soit.
Exemple parlant : si un individu affirme sur son profil LinkedIn être “consultant en intelligence artificielle”, alors qu’il n’a aucune expérience, on parlera d’un “soi-disant consultant”. Mais si un journaliste écrit “le prétendu témoin du meurtre n’a jamais été entendu par la police”, c’est parce que l’étiquette de “témoin” lui est attribuée de l’extérieur, sans qu’il se soit présenté comme tel.
Élise Tran, psychologue et formatrice en communication, explique : « Dans mes ateliers, je montre que le choix du mot influence la perception morale. Dire “soi-disant ami” suggère que cette personne elle-même se dit ton amie, alors que tu la trouves fausse. C’est plus personnel, plus accusateur. “Pretendu ami”, c’est plus neutre, plus factuel. » Cette nuance est cruciale dans les textes argumentatifs ou journalistiques.
Peut-on utiliser « soi-disant » pour parler d’un objet ?
Non. Cette règle est souvent méconnue, mais elle est fondamentale. « Soi-disant » ne s’applique qu’aux êtres vivants capables de revendiquer une identité. Un objet, une chose, ne peut pas “se dire” quelque chose. Il n’a pas de voix, pas de parole. Ainsi, on ne dira jamais “la soi-disante broche en or” ou “le soi-disant tableau de maître”.
On utilisera plutôt “prétendu” ou “supposé” : « la prétendue broche en or » ou « le supposé tableau de maître ». Ces formulations indiquent un doute sur l’authenticité, sans impliquer que l’objet se revendique lui-même comme authentique — ce qui serait absurde.
Le conservateur du musée d’Orsay, Julien Mercier, raconte : « Un jour, un visiteur m’a dit : “C’est un soi-disant Monet ?” J’ai souri, mais j’ai corrigé doucement. “Non, c’est un prétendu Monet, car le tableau ne parle pas. C’est nous qui doutons de son origine.” Cela a déclenché une discussion passionnante sur le langage et la responsabilité des mots. »
Quand ne pas utiliser « soi-disant » par respect ou précision ?
Un cas délicat concerne les accusations ou les labels péjoratifs. Si une personne nie une allégation, on évitera « soi-disant » car cela supposerait qu’elle se revendique comme telle. Par exemple, dire “le soi-disant voleur” impliquerait que cette personne affirme elle-même être un voleur — ce qui n’arrive jamais. On préférera “le prétendu voleur” ou “l’homme accusé de vol”.
De même, dans un contexte judiciaire, un avocat ne dirait pas “mon soi-disant client”, car cela sous-entendrait que le client revendique son statut d’accusé. On dira plutôt “le présumé coupable” ou “l’individu présenté comme responsable”.
Le juge d’instruction Aminata Diop, en poste à Bordeaux, insiste : « Chaque mot dans un procès-verbal a une charge. Utiliser “soi-disant” à tort peut biaiser la perception du lecteur, même inconsciemment. Nous veillons à la neutralité. »
Comment retenir ces règles sans effort ?
La clé tient en trois mots : graphie, sens, contexte. D’abord, mémoriser que « soi-disant » s’écrit sans T, grâce à des comparaisons comme « chacun pour soi ». Ensuite, se demander si la personne concernée revendique elle-même le statut en question. Enfin, vérifier que l’on parle bien d’un être vivant, et non d’un objet ou d’une situation factuelle.
Un truc mnémotechnique utilisé par les professeurs : “Soi, c’est moi quand je parle de moi. Si l’objet ne parle pas, il ne peut pas dire ‘soi’.” Ludique, mais efficace.
Lucas Berthier, professeur de français en Normandie, le teste chaque année : « Je fais écrire à mes élèves une phrase avec “soi-disant”, puis je leur demande d’expliquer pourquoi ils l’ont utilisé. Ce petit exercice force la réflexion. Et au bout de quelques mois, ils n’ont plus d’erreur. »
Conclusion
« Soi-disant » n’est pas qu’un adverbe ou un adjectif parmi d’autres. C’est un outil de précision, de nuance et de rigueur. Son orthographe, son invariabilité, son champ sémantique — tout concourt à une utilisation exigeante, mais enrichissante. Loin d’être une simple question de grammaire, elle touche à la responsabilité du locuteur : dire ce que l’on veut dire, sans ambiguïté, sans maladresse. Dans un monde où l’écrit domine les échanges professionnels et sociaux, maîtriser ces détails, aussi infimes soient-ils, fait la différence entre un discours approximatif et une parole affirmée.
A retenir
Comment écrit-on « soi-disant » ?
On écrit « soi-disant », sans T, car « soi » est un pronom réfléchi, pas une forme du verbe “être”. L’ajout d’un T serait une erreur fréquente, mais phonétique seulement.
Le mot s’accorde-t-il ?
Non. « Soi-disant » est invariable, quel que soit le genre ou le nombre du nom qu’il qualifie. On dit “un soi-disant expert”, “une soi-disant spécialiste” ou “des soi-disant amis”.
Peut-on l’utiliser pour un objet ?
Non. « Soi-disant » ne s’applique qu’aux personnes qui revendiquent un statut. Pour un objet, on préfère “prétendu” ou “supposé”.
Quelle est la différence avec “prétendu” ?
« Soi-disant » insiste sur l’auto-attribution d’un titre ou d’une qualité par la personne elle-même. « Prétendu » est utilisé lorsque l’attribution vient de l’extérieur, souvent avec un doute ou une accusation.
Quand faut-il éviter “soi-disant” ?
Il faut l’éviter quand la personne nie le statut en question (ex. : “le soi-disant criminel”) ou quand on parle d’un objet inanimé. Dans ces cas, “prétendu” est plus juste et plus cohérent.