Stockage du CO₂ : une capacité bien inférieure aux prévisions initiales en 2025

Alors que les nations du monde entier redoublent d’efforts pour contenir le réchauffement climatique, une étude récente publiée dans la prestigieuse revue *Nature* vient bousculer un pilier central des stratégies d’atténuation : le stockage géologique du dioxyde de carbone. Longtemps présenté comme une solution miracle pour compenser les émissions industrielles, le captage et le stockage du carbone (CCS) fait désormais l’objet d’un réexamen rigoureux. Les chiffres, une fois passés au crible de nouvelles analyses, révèlent un potentiel bien plus limité que ce que l’on croyait. Ce constat, loin de sonner le glas de toutes les initiatives, impose une refonte des priorités climatiques, au profit d’une approche plus directe, plus responsable, et surtout plus humaine.

Le captage du carbone est-il encore une solution crédible ?

Le captage et stockage du carbone (CCS) consiste à extraire le CO₂ émis par les centrales thermiques, les cimenteries ou les usines chimiques, puis à l’injecter en profondeur dans des formations géologiques stables, comme d’anciens gisements de pétrole ou des aquifères salins. Pendant des années, cette technologie a été mise en avant comme une clé pour atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici 2050. Les scénarios du Giec, par exemple, intègrent massivement le CCS pour permettre une transition progressive sans sacrifier l’industrie. Mais la nouvelle étude publiée dans *Nature* remet en cause cette vision optimiste.

Les chercheurs ont réévalué les capacités réelles de stockage en tenant compte des contraintes géologiques, des risques de fuite et des zones inaccessibles pour des raisons environnementales ou sismiques. Le résultat est sans appel : la capacité totale de stockage sécurisée ne dépasserait pas 1 460 gigatonnes de CO₂. C’est près de huit fois moins que les estimations les plus hautes, qui parlaient de 11 780 gigatonnes, voire de 40 000 dans certains modèles. Cette découverte change la donne : même si l’humanité parvenait à stocker l’intégralité de ce volume, l’impact sur le réchauffement global serait limité à une baisse de température de 0,7 °C. Un chiffre bien maigre face aux 1,5 °C que l’on tente désespérément de ne pas dépasser.

Quelles sont les conséquences d’une telle révision ?

Pour comprendre l’ampleur de ce changement, il faut se pencher sur les implications concrètes. Élodie Ravet, climatologue à l’Institut de recherche sur les politiques énergétiques, explique : « On a longtemps considéré le CCS comme une soupape de sécurité. On pensait pouvoir continuer à émettre un peu, tout en se rattrapant ensuite par le stockage. Aujourd’hui, on réalise que cette soupape est beaucoup plus petite que prévu. Cela signifie que chaque tonne de CO₂ émise compte davantage. »

Le constat est clair : on ne pourra plus compter sur le stockage géologique pour rattraper des décennies de surconsommation énergétique. Cela pousse à repenser l’ensemble des trajectoires d’émissions. Les pays qui misaient sur le CCS pour atteindre leurs objectifs, comme le Royaume-Uni ou la Norvège, devront désormais revoir leurs plans. En France, où le débat sur les projets de stockage en Aquitaine ou en Alsace est encore vif, cette étude pourrait freiner les ambitions sectorielles.

Pourquoi une telle différence entre les anciennes et les nouvelles estimations ?

La principale raison de ce désaccord réside dans la manière dont les capacités de stockage ont été calculées. Les anciennes études, souvent financées par des industriels du pétrole ou des agences énergétiques, se basaient sur des modèles théoriques très larges, intégrant des zones potentiellement instables ou proches de failles sismiques. La nouvelle analyse, en revanche, exclut systématiquement les zones à risque : celles où une fuite de CO₂ pourrait contaminer les nappes phréatiques, provoquer des séismes induits ou libérer du gaz dans l’atmosphère.

En outre, la distribution géographique du stockage disponible est fortement inégale. Environ 70 % des sites exploitables se trouvent sur les continents, principalement en Amérique du Nord, en Asie centrale et en Afrique du Nord. Cela pose un problème majeur pour les pays insulaires ou les petites nations émettrices, comme Singapour ou les États d’Europe du Sud, qui n’ont pas accès à des formations géologiques adaptées. « Ce n’est pas une solution universelle », souligne Thibaut Lenoir, ingénieur en géologie appliquée. « Elle favorise les grandes puissances industrielles, au détriment des pays les plus vulnérables au climat. »

Quels sont les risques environnementaux liés au stockage ?

Les risques associés au stockage profond du CO₂ sont loin d’être négligeables. Une fuite, même mineure, peut entraîner une acidification locale des sols et des eaux souterraines. Dans des cas extrêmes, une libération massive de gaz pourrait avoir des effets similaires à ceux d’un lac volcanique, comme celui du lac Nyos au Cameroun en 1986, où une émanation de CO₂ a tué près de 2 000 personnes.

En 2023, un incident sur un site pilote en Norvège avait déjà mis en lumière ces dangers : une microfissure avait permis à une partie du CO₂ stocké de remonter en surface. Bien que sans conséquence humaine, cet événement avait conduit à une suspension temporaire du projet. « Chaque site doit être surveillé en continu pendant des décennies, voire des siècles », précise Léa Chambon, spécialiste des systèmes de monitoring. « Et même avec les meilleures technologies, on ne peut jamais garantir une sécurité absolue. »

Le CCS doit-il être abandonné ?

Non, répondent les experts, mais il doit être redimensionné. Le CCS conserve un rôle dans certains secteurs difficiles à décarboner, comme la cimenterie ou la sidérurgie. Pour ces industries, où les émissions sont inévitables même avec les meilleures technologies, le captage reste une option valable. Mais il ne peut plus être vu comme une solution de masse.

La priorité, désormais, doit être déplacée vers la réduction directe des émissions. C’est ce que défend Julien Mercier, conseiller municipal à Lyon et membre d’un collectif d’urbanisme durable. « À Lyon, on a longtemps discuté d’un projet de stockage sous le bassin houiller. Aujourd’hui, on se concentre sur autre chose : rénover les bâtiments, développer le tramway, encourager l’agriculture locale. Ce sont des actions concrètes, immédiates, qui ne dépendent pas d’une technologie incertaine. »

Cette prise de conscience ouvre la voie à une nouvelle génération de politiques climatiques, moins dépendantes des promesses technologiques et plus centrées sur l’action locale. Les collectivités, les entreprises, les citoyens : tous sont appelés à repenser leurs comportements, non pas en espérant que le CO₂ sera un jour enterré, mais en agissant dès maintenant pour en produire moins.

Quelles alternatives au stockage géologique ?

Face à la limite du CCS, d’autres voies gagnent en pertinence. D’abord, l’accélération de la transition énergétique : passage aux énergies renouvelables, électrification des transports, sobriété dans l’usage de l’énergie. Ensuite, les solutions naturelles, comme la reforestation ou la régénération des sols, qui permettent de capturer du carbone de manière durable et bénéfique pour la biodiversité.

De nouveaux procédés industriels émergent également, comme la minéralisation du CO₂, qui transforme le gaz en roches stables. Ce procédé, testé en Islande avec succès, est encore coûteux, mais il présente l’avantage d’être permanent et sans risque de fuite. « C’est une piste prometteuse », affirme Samir Bendjelloul, chercheur en chimie verte. « Elle ne résoudra pas tout, mais elle peut compléter les efforts de réduction. »

Quels impacts sur les politiques climatiques mondiales ?

L’étude de *Nature* arrive à un moment crucial. Alors que les négociations climatiques internationales peinent à produire des résultats concrets, ce constat scientifique pourrait servir de catalyseur. « Cela oblige les gouvernements à cesser de compter sur des solutions futures pour justifier leur inaction aujourd’hui », estime Élodie Ravet.

De nombreux pays, jusque-là réticents à imposer des mesures contraignantes, invoquaient le CCS comme une alternative à la décroissance industrielle. Désormais, ce discours s’effondre. La pression s’accroît pour adopter des politiques plus ambitieuses : taxation carbone, interdiction des véhicules thermiques, financement massif des énergies renouvelables.

A retenir

Quel est le nouveau chiffre de la capacité de stockage du CO₂ ?

La capacité sécurisée de stockage géologique du CO₂ est désormais estimée à 1 460 gigatonnes, soit moins de 10 % des estimations les plus optimistes publiées précédemment.

Pourquoi les anciennes estimations étaient-elles si élevées ?

Les anciennes études incluaient des zones géologiques instables ou à risque, sans tenir compte des dangers de fuite ou des réactions chimiques. La nouvelle analyse exclut ces zones, ce qui réduit considérablement le volume exploitable.

Le CCS n’a-t-il plus aucune utilité ?

Le CCS conserve un rôle dans les secteurs où les émissions sont inévitables, comme la production de ciment ou d’acier. Mais il ne peut plus être considéré comme une solution d’ampleur pour limiter le réchauffement climatique.

Quelles solutions doivent être privilégiées désormais ?

Il faut désormais miser sur la réduction directe des émissions, via la transition énergétique, la sobriété, les énergies renouvelables et les solutions naturelles de séquestration du carbone.

Comment cette étude va-t-elle influencer les négociations climatiques ?

Elle devrait pousser les pays à abandonner les scénarios basés sur le stockage massif de CO₂ et à adopter des politiques plus contraignantes et immédiates pour réduire leurs émissions à la source.