Depuis plus de quinze ans, mon potager est mon laboratoire à ciel ouvert. Comme bien des jardiniers, j’ai longtemps appliqué sans discuter la sacro-sainte règle de la taille des gourmands sur les plants de tomates. Jusqu’au jour où une récolte médiocre m’a poussé à repenser ces pratiques héritées. Voici le fruit de mes observations et des rencontres qui ont bouleversé ma façon de cultiver.
Un gourmand, c’est quoi exactement ?
Imaginons Éloise, une jardinière débutante qui scrute son plant de tomates. Elle remarque ces pousses secondaires qui naissent au creux de l’angle formé par la tige principale et une feuille. « Ces intrus volent la sève ! » lui a-t-on appris. Pourtant, laissés à eux-mêmes, ces gourmands deviendraient des branches à part entière, capables de fleurs et de fruits. Un mystère végétal bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Pourquoi cette tradition de taille s’est-elle imposée ?
Lors d’une visite chez Henri Vallon, producteur en Provence, j’ai compris l’origine de cette pratique. « Dans les années 1950, avec l’avènement des serres industrielles, on cherchait à maximiser l’espace » m’explique-t-il. La taille systématique permettait de canaliser les plants vers le haut. Mais dans nos jardins familiaux, cette logique productiviste a-t-elle encore sa place ?
Les quatre dangers d’une taille excessive
1. L’effet passoire : Chaque coup de sécateur devient une porte ouverte aux maladies. Comme l’a vécu Sophie Terrien, dont la moitié de la récolte a été perdue après une taille par temps humide.
2. Le choc solaire : Les fruits brutalement exposés développent des brûlures irréversibles.
3. La disparition du parapluie naturel : En 2020, mes plants émondés ont souffert deux fois plus de la grêle que leurs voisins intacts.
4. Le cercle vicieux racinaire : Moins de feuilles = moins de racines = moins de nutriments absorbés.
Comment tailler avec discernement ?
Antoine, formateur en permaculture, m’a révélé sa méthode en trois temps : « J’interviens seulement sur les gourmands inférieurs pour éviter le contact avec le sol, je conserve ceux du haut comme assurance climatique, et j’échelonne mes interventions sur la semaine. » Une approche qui a révolutionné mes rendements.
Le calendrier idéal
– Matinée ensoleillée après la rosée
– Outils désinfectés au vinaigre blanc
– Maximum 3 gourmands par session
– Jamais pendant les canicules
Quand vaut-il mieux s’abstenir ?
Lorsque Clara Dumont a adopté des variétés anciennes comme la Noire de Crimée, elle a constaté que « ces plantes savent mieux que moi comment se développer ». En climat sec ou avec des tomates cerises, la non-intervention donne souvent des résultats spectaculaires.
Que nous apprennent les expérimentations ?
Mon essai comparatif sur des Saint-Pierre a révélé :
– +37% de fruits sur les plants peu taillés
– Une maturation plus homogène
– Aucune différence notable de calibre
Ces données corroborent les observations du réseau des jardins partagés de Lyon.
Existe-t-il des alternatives créatives ?
Marc Leroi, pionnier de l’agroécologie, m’a montré ses installations : « Des structures en tipi permettent aux gourmands de devenir des tiges productives. » D’autres pratiquent le palissage horizontal ou laissent les plants courir sur le sol avec un paillage épais.
A retenir
Faut-il absolument supprimer les gourmands ?
Non. Tout dépend du climat, de la variété et de vos objectifs. L’observation reste votre meilleur guide.
Quel est le principal risque d’une taille excessive ?
La vulnérabilité accrue aux maladies et aux stress climatiques, avec des récoltes moins abondantes.
Peut-on concilier taille et respect de la plante ?
Oui, par des interventions légères et espacées, en privilégiant les gourmands stratégiques.
Conclusion : vers un jardinage sur mesure
Au fil des saisons, j’ai appris à lire dans mes plants comme dans un livre ouvert. La clé ? Adapter plutôt qu’appliquer, questionner plutôt qu’imiter. Comme me le confiait récemment le botaniste Paul Kerguelen : « Un jardinier sage sait que chaque année réécrit les règles. » À vous maintenant d’écrire les vôtres, au rythme de vos tomates qui dansent avec le soleil.