Tétraplégiques de Nantes : l’hôpital leur offre des vacances inespérées

Derrière les murs blancs d’un hôpital, il arrive que des projets d’exception naissent de la bienveillance et de l’engagement silencieux de soignants. À l’hôpital Saint-Jacques de Nantes, au cœur du pôle de médecine physique et de réadaptation du CHU, une poignée de professionnels dépasse le cadre de leurs fonctions pour offrir à leurs patients bien plus que des soins : une perspective, un espoir, une vie après le drame. Grâce à l’association Apraih, ces soignants — kinésithérapeutes, infirmiers, aides-soignants ou administratifs — transforment leur quotidien hospitalier en un terrain d’accompagnement humain profond, où la réinsertion sociale et le retour à la vie prennent forme au-delà des murs. Depuis le 1er octobre, huit patients, touchés par des handicaps lourds — tétraplégie, paraplégie, cérébrolésions — vivent un séjour thérapeutique inédit en Auvergne, un voyage qui bouleverse autant les corps que les esprits.

Qu’est-ce que l’Apraih et quel est son rôle dans la réadaptation des patients ?

L’Apraih, association pour la recherche, animation, insertion et handicap, a vu le jour dans un contexte précis : celui de la prise en charge prolongée de patients dont la vie a basculé à la suite d’un accident — de la route, du travail, ou d’un événement soudain. Fondée par des soignants du pôle de réadaptation de Saint-Jacques, elle incarne une volonté collective de dépasser la simple gestion médicale pour proposer un accompagnement global. Son objectif ? Aider les personnes en situation de handicap à retrouver un sens, une autonomie, et surtout, une place dans la société.

Contrairement aux structures classiques, l’Apraih ne se limite pas à des activités récréatives. Elle conçoit des projets de sortie, des séjours thérapeutiques, des ateliers d’expression, et même des actions d’insertion professionnelle. Tous ces dispositifs sont pensés pour renforcer la confiance en soi, briser l’isolement, et préparer les patients à une reprise progressive de leur vie sociale. Julie Potteeuw, kinésithérapeute et présidente de l’association, insiste sur l’importance de sortir du cadre hospitalier pour retrouver du rêve, du désir, de la liberté . Pour elle, guérir, c’est aussi apprendre à vivre autrement.

Comment un séjour en Auvergne peut-il être considéré comme thérapeutique ?

Le séjour organisé en Auvergne n’est pas une simple excursion. Il s’agit d’un dispositif soigneusement planifié, mêlant thérapie, accompagnement psychologique et expériences sensorielles. Pendant cinq jours, huit patients — certains tétraplégiques, d’autres paraplégiques ou cérébrolésés — ont quitté la routine de l’hôpital pour découvrir le lac de Chambon, les sentiers forestiers, et le rythme paisible de la nature. Chaque instant est pensé comme un acte de réhabilitation : marcher en fauteuil sur un chemin de terre, sentir le vent sur son visage, écouter le bruit de l’eau, partager un repas en pleine nature.

Le témoignage de Léa Boulanger, une patiente de 34 ans devenu tétraplégique après un accident de moto, est éloquent : Ici, au bord du lac, j’ai retrouvé quelque chose que je croyais perdu : la sensation d’exister. Pas comme un corps à soigner, mais comme une personne vivante, capable de rire, de ressentir, de participer. Ce type d’expérience, loin des protocoles médicaux, agit comme un puissant levier psychologique. Elle permet de dépasser l’image du malade pour retrouver celle du sujet .

La logistique est colossale : chaque patient nécessite un accompagnement individualisé, avec du matériel médical, des transferts sécurisés, et une coordination permanente entre soignants bénévoles. Douze d’entre eux se sont mobilisés pour ce séjour, certains sacrifiant leurs congés. Mais pour eux, le jeu en vaut la chandelle. Voir un patient sourire au milieu des sapins, alors qu’il n’avait plus quitté sa chambre depuis des mois… c’est ça, la vraie médecine , confie Thomas Ricard, infirmier et bénévole de longue date au sein de l’Apraih.

Pourquoi l’accompagnement par les soignants est-il si crucial ?

Le lien entre soignant et patient est au cœur du projet Apraih. Ces professionnels ne sont pas là seulement pour assurer la sécurité ou les soins techniques. Ils deviennent des passeurs, des témoins, des alliés dans un parcours de reconstruction. Leur présence, souvent bénévole, témoigne d’un engagement qui dépasse le cadre contractuel.

Le cas d’Élodie Ménard, aide-soignante, illustre bien cette dimension humaine. Elle a accompagné Malik Zerrouki, un jeune homme de 28 ans devenu paraplégique après une chute de chantier, durant tout le séjour. Malik ne parlait presque plus à l’hôpital. Il s’était renfermé. Ici, il a posé des questions, fait des blagues, même demandé à conduire le fauteuil électrique tout seul sur un sentier. Ce n’est pas moi qui l’ai aidé à avancer. C’est lui qui m’a montré qu’il pouvait.

Ce type d’échanges, riches et sincères, crée un climat de confiance essentiel. Les soignants, habitués à voir leurs patients dans un état de vulnérabilité, découvrent une autre facette d’eux-mêmes — plus résiliente, plus audacieuse. Et inversement, les patients perçoivent leurs accompagnateurs non plus comme des figures autoritaires, mais comme des alliés de vie.

Quels bénéfices psychologiques et physiques ce type de projet engendre-t-il ?

Les effets d’un séjour comme celui de l’Auvergne sont multiples. Sur le plan physique, l’activité en milieu naturel stimule la motricité, améliore la circulation, et renforce la coordination. Mais c’est surtout sur le plan psychologique que les effets sont spectaculaires. L’exposition à la nature, le changement d’environnement, la sensation de liberté agissent comme un antidote à la dépression, fréquente chez les patients en réadaptation longue.

Des études en ergothérapie et en psychologie de la santé montrent que les sorties en nature améliorent significativement l’estime de soi, réduisent l’anxiété, et augmentent la motivation à poursuivre les rééducations. Pour les patients de l’Apraih, c’est aussi l’occasion de tester leurs capacités dans un cadre non médicalisé, ce qui renforce leur sentiment d’autonomie.

Le docteur Camille Fournier, médecin coordinateur du pôle de réadaptation, observe régulièrement ces effets : On voit des patients revenir plus détendus, plus communicatifs, plus engagés dans leur rééducation. Ce séjour n’est pas un luxe. C’est une étape essentielle du processus de guérison.

Quel est l’avenir de l’Apraih et de ses projets d’insertion ?

L’association ne compte pas s’arrêter à ce premier séjour. Julie Potteeuw envisage déjà des projets à plus long terme : des sorties régulières, des ateliers artistiques, voire des formations professionnelles adaptées. L’idée est de construire un continuum entre l’hôpital et la vie sociale, sans rupture brutale.

Un autre projet en cours concerne l’insertion professionnelle. En partenariat avec des entreprises locales sensibilisées au handicap, l’Apraih souhaite proposer des stages ou des emplois adaptés à certains patients, dès lors qu’ils sont prêts. Le travail, c’est de la dignité , affirme Julie. Beaucoup de nos patients veulent retravailler, pas seulement survivre.

L’association cherche également à élargir son réseau de bénévoles, tant parmi les soignants que dans la société civile. Des formations sont en cours de mise en place pour permettre à des citoyens de s’engager aux côtés des patients, dans des activités culturelles ou sportives.

Quelles leçons peut-on tirer de cette initiative nantaise ?

L’exemple de l’Apraih montre que la réadaptation ne se limite pas à des séances de kinésithérapie ou à des bilans médicaux. Elle s’inscrit dans une dynamique humaine plus large, où la bienveillance, la créativité et la solidarité sont des éléments thérapeutiques à part entière. Ce modèle, bien qu’encore marginal en France, pourrait inspirer d’autres établissements.

Il remet aussi en lumière le rôle souvent sous-estimé des soignants dans la reconstruction identitaire des patients. Leur engagement, lorsqu’il est soutenu par une structure associative, devient un levier puissant de transformation sociale. Comme le dit simplement Thomas Ricard : On ne soigne pas que des corps. On accompagne des vies.

A retenir

Quel est l’objectif principal de l’Apraih ?

L’association Apraih vise à accompagner les personnes en situation de handicap, souvent consécutif à un accident, dans leur reconstruction personnelle et sociale. Elle propose des activités thérapeutiques hors les murs de l’hôpital, favorise l’insertion et renforce la confiance en soi des patients.

Qui compose l’équipe de l’Apraih ?

L’équipe est constituée de soignants du pôle de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Saint-Jacques de Nantes — kinésithérapeutes, infirmiers, aides-soignants, administratifs — qui s’engagent bénévolement aux côtés des patients.

Pourquoi le séjour en Auvergne est-il significatif ?

C’est la première fois que l’Apraih organise un séjour thérapeutique de cette ampleur. Il marque une étape importante dans la reconnaissance de l’importance du hors-norme, du rêve, et de la nature dans le processus de réhabilitation.

Quels types de handicaps sont concernés ?

Les patients accompagnés souffrent de handicaps lourds : tétraplégie, paraplégie, cérébrolésions, souvent consécutifs à des accidents graves.

Comment peut-on soutenir l’Apraih ?

Le soutien peut prendre plusieurs formes : dons financiers, bénévolat, partenariats avec des entreprises, ou sensibilisation autour des enjeux de l’insertion des personnes en situation de handicap.