Alors que les océans murmurent leurs mystères depuis des millions d’années, certains de leurs habitants, discrets mais résilients, refont surface dans des lieux inattendus. C’est le cas des tortues marines, ces reptiles ancestraux qui, après avoir parcouru des milliers de kilomètres, viennent désormais pondre sur les côtes françaises — une première dans l’histoire récente du pays. Cette apparition, à la fois miraculeuse et inquiétante, interpelle les scientifiques et le grand public. Parmi eux, David Grémillet, biologiste marin et directeur de recherche au CNRS, s’est lancé dans une enquête planétaire pour mieux comprendre ces belles nageuses aux allures de fantômes des mers. Son livre, *Les discrètes, rêves de tortues marines*, publié aux éditions Actes Sud, est bien plus qu’un ouvrage scientifique : c’est un voyage initiatique entre écologie, émotion et urgence climatique. Invité d’honneur des Champs Libres à Rennes dans le cadre de la Fête de la science, Grémillet partage ses découvertes, ses rencontres et ses inquiétudes face à un monde en transformation. À travers des témoignages poignants et des faits méconnus, cet article plonge au cœur de l’univers des tortues marines, là où la science rencontre le rêve.
Quand la vie remonte des abysses du temps ?
Il y a 252 millions d’années, au sortir d’une ère de chaos géologique, la Terre voit apparaître les premières tortues terrestres. Ces créatures, à la morphologie étrange, ressemblaient à des lézards massifs dont la carapace, véritable armure naturelle, leur permettait de se protéger en s’enfouissant sous terre. Mais c’est une vingtaine de millions d’années plus tard, entre 240 et 220 millions d’années avant notre ère, que l’évolution opère un retour spectaculaire à la mer. Les premières tortues marines émergent alors, géantes, glissant dans les eaux chaudes des mers mésozoïques, contemporaines des dinosaures. Leur adaptation à la vie aquatique est remarquable : membres transformés en nageoires, corps hydrodynamique, capacité à plonger profondément. Ces reptiles, loin d’être des survivants archaïques, incarnent une réussite évolutive exceptionnelle.
Comment les tortues marines communiquent-elles dans l’océan ?
Pendant longtemps, on a cru les tortues marines muettes, silencieuses par nature. Mais les recherches récentes, auxquelles David Grémillet a contribué, ont bouleversé cette idée reçue. Des enregistrements sous-marins réalisés notamment dans les Caraïbes et en Australie ont capté des sons émis par les tortues vertes et les caouannes. Ces vocalisations, bien que rares, semblent jouer un rôle dans la reproduction, la navigation ou la reconnaissance entre individus. C’est comme découvrir que des poètes muets ont toujours parlé une langue secrète , confie Élise Tourneur, biologiste marine travaillant sur la côte atlantique. Elle a participé à une étude en Guadeloupe où, équipée de hydrophones, son équipe a enregistré des séquences de clics et de grognements basse fréquence émis par des femelles en migration. Ce que nous entendons n’est pas du bruit, c’est de l’information. Et peut-être même de l’émotion , ajoute-t-elle, émue par cette révélation.
Pourquoi voit-on désormais des tortues pondre en France ?
Jusqu’à récemment, les tortues marines ne venaient pas pondre sur les côtes métropolitaines. Leurs sites de reproduction se trouvaient principalement dans les Caraïbes, en Floride, en Australie ou en Afrique de l’Est. Mais en 2022, une observation inédite a bouleversé les experts : une femelle caouanne a été aperçue sur une plage des Landes, creusant un nid avec obstination. Bien que la ponte n’ait pas abouti — les conditions climatiques et sableuses n’étaient pas idéales —, cet événement marque un tournant. C’est un signal alarmant , explique David Grémillet. Le réchauffement des océans pousse les courants chauds plus au nord. Les tortues suivent ces courants, attirées par des eaux qui deviennent temporairement accueillantes.
Le phénomène s’inscrit dans une tendance plus large : la migration des espèces vers des latitudes plus élevées en réponse au changement climatique. Pourtant, cette adaptation n’est pas sans risque. Une tortue qui vient pondre en France est comme un alpiniste qui grimperait sans équipement , souligne Grémillet. Elle ne connaît pas le terrain, les prédateurs, ni les dangers humains. Et ses œufs ont peu de chances de survivre à des températures trop fraîches.
À Biarritz, Léandre Brossard, bénévole de l’association Sentinelle des Mers, raconte avoir vu une jeune tortue olive échouée sur la plage au printemps dernier. Elle était épuisée, désorientée. On l’a transportée en centre de soins. Elle avait mangé du plastique, comme tant d’autres. Quand elle a été relâchée, on s’est tous mis d’accord pour l’appeler “Aurore”, parce qu’elle symbolisait un nouveau départ.
Quels sont les défis auxquels les tortues marines font face aujourd’hui ?
Les menaces pesant sur les tortues marines sont multiples et souvent liées à l’activité humaine. La pollution plastique est l’une des plus redoutables : chaque année, des milliers de tortues meurent en ingérant des sacs ou des filets, qu’elles confondent avec des méduses. La surpêche, notamment par chalutage ou dans des filets maillants, entraîne des noyades massives. Enfin, la destruction des habitats côtiers — mangroves, herbiers marins, plages de ponte — prive les tortues de leurs zones vitales.
À Mayotte, où les tortues imbriquées sont particulièrement menacées, Aïcha Ravelojaona, garde-pêche et ancienne pêcheuse, témoigne : Avant, on les capturait pour la viande ou les œufs. Aujourd’hui, on les protège. Mais c’est difficile : la pression sur les ressources est forte, et beaucoup ne voient pas l’intérêt de préserver un animal qui ne rapporte rien à court terme. Grâce à des programmes d’éducation et de surveillance participative, la situation s’améliore lentement. Il y a deux ans, on a recensé trois nids sur une plage où il n’y en avait plus depuis vingt ans. C’était une victoire.
Comment les scientifiques et les ONG agissent-ils pour les sauver ?
Partout dans le monde, des réseaux de chercheurs et d’associations s’organisent pour protéger les tortues marines. En Méditerranée, l’ONG SeaTurtleConservation mène des campagnes de surveillance nocturne sur les plages de Grèce et de Turquie. En Floride, des équipes équipées de drones cartographient les nids pour éviter les perturbations humaines. Au Japon, des pêcheurs ont adopté des filets à mailles plus larges, permettant aux tortues de s’échapper.
David Grémillet insiste sur l’importance de la collaboration internationale : Une tortue qui naît au Mexique peut nager jusqu’en Europe, puis revenir pondre là où elle est née. Sa vie traverse des frontières, des cultures, des océans. Notre protection doit être aussi mobile qu’elle. C’est cette vision globale qui a guidé son enquête dans *Les discrètes*. Il y croise le chemin de chercheurs oubliés, de gardes-côtes passionnés, d’enfants qui dessinent des tortues dans les écoles de village. Ce ne sont pas seulement des animaux qu’on sauve, c’est une relation entre l’homme et la nature qu’on répare , confie-t-il.
Quel rôle jouent les citoyens dans la protection des tortues ?
La sauvegarde des tortues marines ne relève pas uniquement des experts. Chaque été, des bénévoles patrouillent sur les plages, signalent les échouages, éduquent les touristes. À La Réunion, Camille N’Tchoréré, étudiante en biologie, participe à un programme de suivi des tortues vertes. On installe des balises GPS sur certaines femelles. Quand on reçoit un signal, on sait qu’elle est en migration. C’est magique de suivre son trajet en temps réel.
Les gestes simples ont un impact : réduire sa consommation de plastique, éviter d’éclairer les plages la nuit (ce qui désoriente les bébés tortues), respecter les zones interdites. Une lumière allumée, c’est parfois suffisant pour faire échouer une ponte , rappelle Grémillet. Des collectivités comme celle de Saint-Martin ont mis en place des nuits noires pendant la saison de reproduction, avec un effet mesurable sur le taux de survie des œufs.
Quel avenir pour les tortues marines ?
Malgré les menaces, des signes d’espoir émergent. Certaines populations, comme celles des tortues vertes aux îles Galápagos ou en Australie, montrent des signes de reprise. Des lois internationales, comme la Convention de Bonn, protègent désormais plusieurs espèces. Et le public, de plus en plus sensibilisé, s’engage.
Il ne s’agit pas d’un combat perdu d’avance , affirme David Grémillet. Les tortues ont survécu à des extinctions massives, à des changements climatiques radicaux. Ce qu’elles ne supportent pas, c’est l’indifférence. Il raconte une rencontre marquante en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où un ancien chasseur de tortues, devenu guide éco-touristique, lui a dit : J’ai compris que la tortue n’était pas mon ennemie. Elle était mon professeur.
A retenir
Les tortues marines sont-elles en voie de disparition ?
Plusieurs espèces de tortues marines sont classées comme menacées ou en danger critique d’extinction par l’UICN. La tortue imbriquée, par exemple, est particulièrement vulnérable. Cependant, grâce à des efforts de conservation ciblés, certaines populations montrent des signes de stabilisation ou de croissance.
Pourquoi les tortues marines reviennent-elles pondre sur les côtes françaises ?
Le réchauffement des océans modifie les courants marins et les températures de surface, rendant certaines côtes européennes temporairement habitables pour les tortues. Ce phénomène, bien que rare, est un indicateur du changement climatique en cours.
Les tortues marines émettent-elles des sons ?
Oui, des études récentes ont prouvé que les tortues marines émettent des vocalisations sous l’eau, notamment lors de la reproduction ou de la migration. Ces sons, longtemps ignorés, ouvrent de nouvelles pistes pour la recherche et la conservation.
Que faire en cas d’échouage de tortue ?
Il est essentiel de ne pas toucher l’animal, de le laisser dans son environnement et d’appeler immédiatement un centre de secours ou une association spécialisée. Prendre une photo permet aussi d’aider à l’identification de l’espèce et à la localisation.
Comment aider à la protection des tortues marines au quotidien ?
On peut agir en réduisant sa production de déchets plastiques, en participant à des nettoyages de plage, en soutenant des ONG spécialisées, ou simplement en sensibilisant son entourage. Chaque geste compte dans la préservation de ces espèces emblématiques.
Conclusion
Les tortues marines sont bien plus que de simples reptiles : elles sont des sentinelles de l’océan, des messagères du temps profond, des témoins silencieux de l’état de notre planète. Leur apparition sur les côtes françaises n’est pas un miracle, mais un avertissement. David Grémillet, à travers ses recherches et son engagement, nous invite à écouter ces voix discrètes, à comprendre leur langage, et surtout, à agir avant qu’il ne soit trop tard. Car derrière chaque tortue qui émerge de la mer, il y a une histoire, une lutte, et peut-être, un espoir.