L’année 2025 marque un tournant dans la politique fiscale française en matière de succession. Alors que les inégalités patrimoniales continuent de s’accentuer, le gouvernement a décidé de réviser en profondeur le barème d’imposition sur les successions, avec pour objectif affiché de renforcer la justice intergénérationnelle. Ces changements, qui entreront en vigueur au 1er janvier 2025, touchent tous les héritiers, qu’ils soient enfants, petits-enfants, frères et sœurs, ou héritiers éloignés. Derrière les chiffres et les taux, ce sont des vies, des familles, des projets de transmission qui sont bouleversés. À travers des témoignages croisés et une analyse fine des nouvelles dispositions, cet article dresse un panorama complet de ce qui attend les Français dans les prochaines années.
Quelles sont les principales modifications du barème successoral en 2025 ?
Le cœur de la réforme réside dans une réévaluation des tranches d’imposition et des abattements applicables selon les liens de parenté. Le gouvernement a opté pour une logique de progressivité accrue, visant à protéger les petites successions tout en renforçant la pression sur les patrimoines les plus importants. Pour les enfants, l’abattement individuel passe de 100 000 € à 120 000 €, une augmentation certes bienvenue, mais qui ne compense pas l’entrée en vigueur d’un nouvel échelon d’imposition à 45 % au-delà de 3 millions d’euros. Ce seuil, jusque-là inédit, touche directement les familles aisées, notamment celles possédant des biens immobiliers dans les grandes métropoles.
Les petits-enfants bénéficient désormais d’un abattement porté à 80 000 € par enfant (contre 31 865 € auparavant), mais uniquement en cas de transmission en ligne directe, c’est-à-dire lorsque les parents sont décédés ou renoncent explicitement à leur part. Cette condition vise à éviter les contournements du système. En revanche, pour les frères et sœurs, l’abattement est figé à 15 932 €, mais le taux marginal maximal grimpe à 40 % au-delà de 1 million d’euros, contre 35 % précédemment. Une mesure perçue comme dure par certaines familles, comme celle d’Élise Rambert, 58 ans, qui a hérité avec son frère d’un domaine viticole en Gironde.
« On a toujours pensé que ce vignoble resterait dans la famille, raconte-t-elle. Mais avec les nouveaux taux, on va devoir vendre une partie des parcelles pour payer les droits. Ce n’était pas notre choix. »
Comment les héritiers éloignés sont-ils impactés ?
Les parents éloignés, les cousins, les oncles et tantes voient leur situation fortement dégradée. L’abattement reste bloqué à 7 967 €, mais le barème a été resserré : désormais, toute succession dépassant 100 000 € est imposée à un taux plancher de 30 %, contre 20 % auparavant. Au-delà de 500 000 €, le taux atteint 50 %. Une évolution qui inquiète particulièrement les familles recomposées ou celles qui souhaitent transmettre à des neveux ou nièces.
Théo Lanzmann, 42 ans, a été nommé légataire universel par sa tante, décédée l’année dernière. « Elle n’avait pas d’enfants, et nous étions très proches. Elle m’a tout laissé : sa maison à Annecy, quelques placements, des œuvres d’art. Je pensais que cela passerait sans trop de frais. Mais avec les nouveaux calculs, je dois débourser près de 120 000 € en droits de succession. J’ai dû contracter un prêt sur dix ans. » Son cas illustre une réalité croissante : la fiscalité pèse désormais comme un frein à la transmission affective.
Quelles sont les nouvelles règles pour les donations entre vifs ?
Parallèlement à la réforme des successions, les donations entre vifs ont également été repensées. Le système de rétablissement des abattements tous les quinze ans est remplacé par un système triennal. Désormais, chaque don effectué ouvre droit à un nouvel abattement au bout de trois ans, mais dans la limite de deux donations par période. Cette mesure vise à encourager une transmission progressive du patrimoine, tout en luttant contre les abus.
Le dispositif « donation-partage » est quant à lui élargi aux petits-enfants, à condition que les enfants du donateur soient présents et consentants. Cela permet une répartition anticipée du patrimoine familial, avec un gain de transparence et de prévisibilité. Camille Féraud, notaire à Lyon, observe un afflux de dossiers : « Depuis l’annonce de la réforme, les familles cherchent à anticiper. Elles veulent éviter des surprises. Beaucoup optent pour des donations fractionnées, de 50 000 à 80 000 € tous les trois ans, pour optimiser les abattements. »
Quels impacts sur la transmission de l’immobilier ?
L’immobilier reste le cœur des patrimoines français, et la réforme frappe particulièrement les successions comportant des biens fonciers. En zone tendue – Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille –, la valeur des biens dépasse souvent les seuils déclencheurs des nouveaux taux élevés. Pour un appartement de 1,2 million d’euros à Paris, transmis à deux enfants, la fiscalité peut désormais représenter près de 200 000 € de droits, contre 150 000 € avant 2025.
Les agriculteurs et artisans sont concernés de plein fouet. Si les exonérations sur les exploitations agricoles sont maintenues à 75 %, elles ne s’appliquent plus automatiquement : il faut désormais justifier d’un engagement de conservation du fonds pendant dix ans, sous peine de remboursement des droits. Pour Hugo Delmas, qui reprend l’atelier de menuiserie familial en Ardèche, la pression est forte : « On a mis des années à convaincre mon père de transmettre. Maintenant, on doit s’engager par écrit à garder l’entreprise dix ans. Et si le marché baisse ? Si on ne peut pas la faire vivre ? On se sent coincés. »
Comment les couples non mariés sont-ils affectés ?
Les concubins et partenaires pacsés restent, comme auparavant, très désavantagés. Sans lien de parenté, ils sont soumis au barème des héritiers éloignés, avec un abattement de seulement 1 594 €. En 2025, cela signifie que même un modeste héritage peut entraîner une imposition lourde. Le cas de Léa et Samir, ensemble depuis vingt ans, est emblématique. « On a acheté notre maison à deux, raconte Léa. Mais elle est au nom de Samir. Si jamais il partait avant moi, je devrais payer des droits énormes pour garder le toit au-dessus de ma tête. On songe à se marier, non par amour du statut, mais par nécessité fiscale. »
Des voix s’élèvent pour demander une réforme de fond de la fiscalité des couples de fait. Mais pour l’instant, le gouvernement reste silencieux sur ce point, arguant que le mariage reste le socle de la protection juridique.
Quelles stratégies d’optimisation sont encore possibles ?
Malgré la rigueur accrue, plusieurs leviers restent accessibles. Les assurances-vie conservent un rôle central : les versements effectués avant 70 ans bénéficient d’un abattement de 152 500 € par bénéficiaire, et les rachats programmés permettent une transmission souple et discrète. De plus, les fonds en euros restent exonérés d’impôt sur le revenu, ce qui en fait un outil privilégié.
Les démembrements de propriété gagnent aussi en intérêt. En donnant l’usufruit à ses enfants tout en conservant la nue-propriété, un parent peut réduire la valeur fiscale du bien transmis. Le cas de Bernard et Chloé Vasseur, parents de trois enfants, illustre cette stratégie. « On a donné l’usufruit de notre maison à nos enfants, explique Bernard. La valeur taxable était moindre. Et on peut y rester jusqu’à notre décès. C’est un bon compromis entre transmission et sécurité. »
Enfin, les investissements dans des sociétés civiles immobilières (SCI) familiales sont en forte hausse. Elles permettent de fractionner les parts entre les héritiers, de bénéficier d’abattements par part, et de mieux contrôler la gestion du patrimoine. Mais attention : le fisc surveille désormais les SCI utilisées uniquement à des fins d’optimisation, et peut les redresser si elles ne justifient pas d’une activité réelle.
Au-delà des calculs, la réforme touche aux émotions. La succession, longtemps perçue comme un acte de transmission d’amour et de mémoire, devient un exercice de gestion financière. « Beaucoup de nos clients pleurent en entendant les chiffres », confie Camille Féraud, le notaire lyonnais. « Ils ne réalisent pas que transmettre, c’est aussi parfois imposer une charge. »
Les tensions familiales augmentent, notamment entre frères et sœurs, ou entre parents et enfants. Les enfants qui héritent d’un bien immobilier mais doivent payer des droits élevés se tournent parfois vers leurs parents vivants pour demander des avances. « Ce n’est plus l’enfant qui reçoit, mais celui qui réclame », observe Élise Rambert, amère.
Paradoxalement, la réforme pousse certaines familles à mieux communiquer. « On a organisé un dîner familial, raconte Hugo Delmas. On a parlé chiffres, responsabilités, avenir de l’entreprise. Ce n’était pas facile, mais c’était nécessaire. »
La réforme atteint-elle ses objectifs de justice fiscale ?
Le gouvernement affirme que cette réforme vise à « mieux cibler l’effort fiscal sur ceux qui en ont les moyens ». En théorie, les petites successions sont moins touchées, voire exonérées. Mais en pratique, l’inflation des prix de l’immobilier fait que des ménages de classe moyenne se retrouvent désormais dans des tranches d’imposition élevées. Une retraitée comme Élise Rambert, qui a travaillé toute sa vie dans l’enseignement, ne se considère pas comme riche, et pourtant, elle paie comme telle.
Les économistes restent divisés. Pour certains, comme le professeur Antoine Mercier, cette réforme « corrige des distorsions historiques et renforce la mobilité sociale ». Pour d’autres, comme la sociologue Nora Timsit, « elle pénalise la famille au profit de l’État, et risque de décourager l’épargne intergénérationnelle ».
Quelles perspectives pour l’avenir ?
Les effets de la réforme ne se mesureront pleinement que dans les prochaines années. Déjà, on observe une montée en puissance des recours juridiques, des demandes de reports de paiement, et des stratégies de contournement. Le risque, pour les pouvoirs publics, est de voir se développer une économie parallèle de la transmission, où les plus informés et les mieux conseillés s’organisent en dehors du système.
À l’inverse, si la réforme parvient à financer des politiques sociales ou des aides à l’accession à la propriété pour les jeunes générations, elle pourrait gagner en légitimité. Mais pour l’heure, le sentiment dominant reste celui d’un malaise : la transmission, autrefois geste sacré, devient un calcul douloureux.
A retenir
Quel est le nouvel abattement pour les enfants en 2025 ?
Le nouvel abattement applicable aux enfants est de 120 000 € par héritier, en hausse par rapport aux 100 000 € précédents. Cela concerne les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2025.
Les donations entre vifs sont-elles plus avantageuses qu’avant ?
Oui, dans une certaine mesure. Le renouvellement des abattements tous les trois ans (contre quinze auparavant) rend les donations plus fréquentes et plus efficaces, à condition de respecter les plafonds et les conditions de fréquence.
Les couples pacsés bénéficient-ils d’un traitement fiscal équivalent aux mariés ?
Non. Les partenaires pacsés ou en concubinage restent soumis au barème des héritiers éloignés, avec un abattement limité à 1 594 €. Seul le mariage ouvre droit à l’abattement de 100 000 € entre époux.
Peut-on encore transmettre un bien immobilier sans payer de droits ?
Il n’existe pas d’exonération totale, mais des dispositifs comme le démembrement de propriété, les donations-partage ou les SCI familiales permettent de réduire significativement la charge fiscale, sous certaines conditions.
La réforme vise-t-elle principalement les riches ?
Théoriquement oui, mais en raison de l’inflation immobilière, de nombreuses familles de classe moyenne se retrouvent aujourd’hui concernées par les nouvelles tranches d’imposition élevées, ce qui soulève des questions de justice sociale.