Un tunnel sous Gibraltar pour relier l’Europe et l’Afrique d’ici 2025 : ce que cela changera pour vous

En 2023, alors que le monde scrutait les tensions géopolitiques croissantes, une initiative discrète mais profondément symbolique a été relancée entre deux rives : le projet de tunnel sous le détroit de Gibraltar. Ce gigantesque ouvrage, imaginé comme un pont invisible entre l’Afrique et l’Europe, pourrait bien redessiner les cartes non seulement des échanges économiques, mais aussi des relations humaines, culturelles et diplomatiques entre deux continents longtemps séparés par une étendue d’eau de seulement 14 kilomètres. Ce n’est plus seulement un rêve d’ingénieurs, mais une ambition politique partagée entre le Maroc et l’Espagne, portée par des réalités économiques, des enjeux stratégiques et des espoirs individuels qui, tous ensemble, donnent à ce projet une dimension inédite.

Quel est l’enjeu géostratégique du tunnel de Gibraltar ?

Le détroit de Gibraltar n’a jamais été qu’une frontière naturelle. Depuis des siècles, il est un carrefour de civilisations, de migrations et de tensions. Aujourd’hui, il devient le théâtre d’un pari audacieux : construire un tunnel ferroviaire de 42 kilomètres, plongeant jusqu’à 475 mètres sous la surface, reliant Tanger à Tarifa. Ce projet, longtemps en sommeil, a été relancé avec une nouvelle étude de faisabilité financée à hauteur de 1,6 million d’euros par l’Espagne. Un montant modeste comparé aux milliards nécessaires à la construction, mais un signal fort d’un engagement renouvelé.

La région est géologiquement instable, traversée par des failles tectoniques actives. Construire un tunnel ici, c’est relever un défi comparable à celui du Ryfast en Norvège ou de l’Eurotunnel, mais avec des enjeux politiques bien plus complexes. Contrairement à la Manche, le détroit sépare deux mondes : l’Union européenne et l’Afrique du Nord, deux espaces économiques inégaux, mais de plus en plus interdépendants.

Le tunnel ne serait pas seulement un conduit physique, mais un outil de rapprochement stratégique. Pour l’Europe, il s’agit de sécuriser une voie d’accès alternative aux chaînes logistiques fragilisées par les crises internationales. Pour le Maroc, c’est l’occasion de consolider son rôle de hub régional, déjà affirmé par ses investissements dans les énergies renouvelables, les zones franches et les infrastructures portuaires.

Le diplomate espagnol Jose Manuel Albares a récemment déclaré que « renforcer les liens avec le Maroc, c’est renforcer la sécurité de l’Europe ». Une phrase qui résonne fort à une époque où les migrations, la sécurité énergétique et la compétition avec les puissances extra-européennes (comme la Chine dans le corridor afro-européen) deviennent des priorités.

Comment ce projet renforce-t-il l’influence douce du Maroc ?

Le Maroc, sous la direction du roi Mohammed VI, a adopté une stratégie d’influence douce qui l’a hissé au rang de puissance régionale incontournable. Le tunnel de Gibraltar s’inscrit parfaitement dans cette vision. Il n’est pas seulement une infrastructure, mais un symbole : celui d’un pays africain qui s’impose comme un partenaire égal de l’Europe.

À Tétouan, Aïcha El Khattabi, professeure d’histoire contemporaine, observe ce changement avec fierté : « Quand j’étais étudiante, on parlait du Maroc comme d’un pays périphérique. Aujourd’hui, on parle du Maroc comme d’un pivot. Le tunnel, c’est l’aboutissement d’un travail de décennies : diplomatie, investissements, rapprochement culturel. »

Cette influence douce s’exprime aussi à travers des initiatives concrètes. L’« Opération Traversée du Détroit » (OPE), lancée en 2022, a permis d’harmoniser les procédures douanières, de réduire les délais de passage et de renforcer la coopération policière entre les deux rives. Un succès qui montre que, même sans tunnel, la collaboration fonctionne — et qu’elle peut être amplifiée.

Le projet coïncide aussi avec d’autres événements majeurs. Le Maroc, l’Espagne et le Portugal ont été désignés pour co-organiser la Coupe du monde de football 2030. Un événement mondial qui, combiné au tunnel, pourrait transformer la région en un pôle d’attraction touristique et économique sans précédent.

Quels impacts économiques pour le Maroc et l’Europe ?

Les conséquences économiques du tunnel pourraient être profondes, surtout pour les régions directement concernées. Selon les analyses de CAPMAD, un think tank basé à Rabat, le tunnel permettrait d’accélérer la mise en place de chaînes d’approvisionnement intégrées entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, dans le cadre du Pacte vert européen.

Le Maroc, déjà premier partenaire commercial africain de l’UE, pourrait devenir le principal corridor terrestre pour les marchandises en provenance du continent. Des industries comme l’automobile, l’agroalimentaire ou les énergies renouvelables bénéficieraient d’un accès direct et rapide au marché européen.

À Tanger Med, le plus grand port d’Afrique, les responsables anticipent déjà les effets du tunnel. Karim Benmoussa, directeur logistique du port, explique : « On voit arriver des cargaisons de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Nigeria. Aujourd’hui, elles passent par bateau ou par air. Demain, elles pourraient transiter par le tunnel, en train, en quelques heures. C’est une révolution pour la logistique continentale. »

En parallèle, de nouveaux services de ferry à grande vitesse, comme ceux annoncés par Balearia pour mai 2025 entre Tarifa et Tanger, montrent que la demande pour des connexions rapides ne cesse de croître. Le tunnel ne remplacera pas ces ferries, mais il les complétera, en offrant une alternative fiable, indépendante des conditions météorologiques.

Pour les petites entreprises, les travailleurs saisonniers, les étudiants, cette connexion permanente signifierait une mobilité accrue. Imaginez un étudiant de Fès qui pourrait rejoindre Séville en deux heures de train, ou un artisan de Chefchaouen dont les produits seraient exposés dans les marchés de Barcelone chaque semaine.

Le tunnel, un vecteur d’unité ou une source de divisions ?

Pour beaucoup, le tunnel est synonyme d’espoir. Il représente une Europe plus ouverte, une Afrique plus connectée, et des familles enfin réunies. À Nador, Samia Zeroual, infirmière marocaine vivant en Espagne depuis dix ans, raconte : « Chaque été, je prends le ferry pour voir mes parents. Parfois, la mer est mauvaise, les départs sont annulés. Des enfants pleurent, des aînés attendent des heures. Avec un tunnel, ce serait plus simple, plus humain. »

Cependant, le projet n’est pas sans risques. Les préoccupations environnementales sont réelles. Le forage sous-marin pourrait perturber les courants marins, menacer les espèces migratrices comme les dauphins ou les tortues, et impacter les écosystèmes fragiles du détroit. Des ONG comme Green Med Watch ont déjà appelé à une évaluation environnementale indépendante, exigeant que la protection de la biodiversité ne soit pas sacrifiée sur l’autel du progrès.

Il y a aussi les obstacles politiques. Le dossier du Sahara occidental reste un point de friction entre le Maroc et l’Algérie, et par ricochet, entre Rabat et certains pays européens. En 2023, une déclaration d’Emmanuel Macron en faveur de l’autonomie marocaine sur le territoire a tendu les relations avec Alger et le Polisario. Ce contexte complexe rappelle que les grands projets d’infrastructure ne se construisent pas dans un vide géopolitique.

Enfin, le coût du tunnel reste incertain. Si l’Eurotunnel a coûté l’équivalent de 15 milliards d’euros aujourd’hui, le tunnel de Gibraltar pourrait dépasser les 20 milliards, compte tenu de la profondeur et de la sismicité. Qui paiera ? Le Maroc, l’Espagne, l’UE, ou des investisseurs privés ? Ces questions restent sans réponse claire.

Quel avenir pour ce projet ambitieux ?

Le tunnel de Gibraltar n’est pas prévu avant 2040. Un horizon lointain, mais qui permet déjà de structurer des politiques publiques, d’orienter des investissements et de renforcer la coopération bilatérale. Ce n’est pas seulement un chantier d’ingénierie, c’est un processus politique, économique et humain.

Les retards passés — les premières études datent des années 1970 — montrent que la volonté politique est le facteur clé. Aujourd’hui, les conditions semblent plus favorables : une demande croissante, des relations diplomatiques apaisées, et une vision partagée de l’intégration euro-africaine.

Comme le dit Elias Navarro, urbaniste à Séville : « Ce tunnel, c’est plus qu’un train sous la mer. C’est une déclaration : l’Afrique et l’Europe ne sont pas séparées par un fossé, mais reliées par un avenir commun. »

A retenir

Quelle est la longueur et la profondeur prévues pour le tunnel ?

Le tunnel sous le détroit de Gibraltar devrait s’étendre sur environ 42 kilomètres, avec une section immergée atteignant une profondeur maximale de 475 mètres sous le niveau de la mer, ce qui en ferait l’un des tunnels sous-marins les plus profonds au monde.

Quand le tunnel sera-t-il construit ?

La construction n’a pas encore commencé. L’achèvement est envisagé vers 2040, après la finalisation des nouvelles études de faisabilité et la mobilisation des financements nécessaires.

Le tunnel remplacera-t-il les ferries ?

Non, le tunnel ne remplacera pas les ferries, mais il les complétera. Il offrira une alternative ferroviaire permanente, moins dépendante des conditions météorologiques, tout en laissant place aux liaisons maritimes existantes et aux nouveaux services de ferry à grande vitesse.

Quels sont les principaux défis techniques ?

Les principaux défis incluent la stabilité sismique de la zone, la profondeur du forage, la pression des fonds marins, et la nécessité de technologies de pointe pour assurer la sécurité et la durabilité du tunnel à long terme.

Qui finance le projet ?

À ce stade, l’Espagne a alloué 1,6 million d’euros pour la mise à jour des études de faisabilité. Le financement de la construction restera à déterminer, probablement à travers un partenariat entre le Maroc, l’Espagne, l’Union européenne et des investisseurs privés.

Quel impact environnemental le tunnel pourrait-il avoir ?

Les travaux pourraient perturber les écosystèmes marins du détroit, notamment les courants et les espèces migratrices. Des évaluations environnementales rigoureuses seront nécessaires pour minimiser les impacts, et des ONG réclament déjà une surveillance indépendante.