Un tunnel sous Gibraltar pour relier l’Europe et l’Afrique d’ici 2025 : ambition ou utopie ?

Un rêve vieux de plusieurs décennies refait surface avec une intensité renouvelée : celui d’un tunnel sous-marin reliant le Maroc à l’Espagne sous le détroit de Gibraltar. Ce projet, à la fois colossal et symbolique, ne se limite pas à une avancée d’ingénierie. Il incarne une vision transcontinentale, une volonté de rapprocher l’Afrique du monde européen par des liens durables, résilients et profondément humains. Alors que les ferries continuent d’assurer la traversée entre Tanger et les côtes andalouses, leur dépendance aux conditions météorologiques et leur capacité limitée poussent les gouvernements à envisager une solution plus ambitieuse. Le tunnel, long de 42 kilomètres et plongeant à 475 mètres sous la mer, s’impose comme une réponse stratégique à des enjeux économiques, géopolitiques et climatiques croissants. Mais au-delà des chiffres et des études, c’est une histoire d’hommes, de territoires et d’aspirations partagées qui se joue désormais entre deux rives.

Quel est l’enjeu géostratégique d’un tunnel entre le Maroc et l’Espagne ?

Le détroit de Gibraltar, passage naturel entre deux continents, est depuis des siècles un carrefour de peuples, de marchandises et d’influences. Aujourd’hui, il devient un front pionnier de la connectivité euro-africaine. Le projet de tunnel n’est pas seulement une infrastructure, c’est un levier de puissance douce. Pour le Maroc, il s’agit de consolider son rôle de pont stratégique entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Le pays, déjà actif dans les énergies renouvelables et les corridors logistiques, entend affirmer sa position centrale dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’Espagne, quant à elle, voit dans ce projet une opportunité de renforcer ses liens avec un partenaire stable au sud de la Méditerranée, dans un contexte marqué par les tensions géopolitiques liées à la crise énergétique européenne.

En 2023, les gouvernements espagnol et marocain ont relancé les études de faisabilité après des années de stagnation. L’Espagne a alloué 1,6 million d’euros pour mettre à jour les données techniques, sismiques et environnementales. Ce geste, symbolique mais concret, montre que les deux nations sont prêtes à investir dans une vision à long terme. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Jose Manuel Albares, a d’ailleurs déclaré : « Le Maroc n’est pas un pays voisin, c’est un partenaire fondamental pour l’avenir de l’Europe. » Une phrase qui résonne fort dans les couloirs de Bruxelles, où l’on cherche désormais à diversifier les routes d’approvisionnement après l’arrêt du gaz russe.

Comment ce projet symbolise-t-il une nouvelle forme de coopération ?

Le tunnel de Gibraltar ne se construira pas seulement avec du béton et des aciers, mais aussi avec de la diplomatie, de la confiance et des projets communs. L’« Opération Traversée du Détroit » (OPE), lancée en 2022, en est un exemple concret. Cette initiative bilatérale a permis d’harmoniser les procédures douanières, d’améliorer la sécurité des passages maritimes et de renforcer les échanges culturels. Elle a aussi permis de créer des ponts entre les administrations locales, les entreprises et les citoyens.

Le témoignage de Yasmine El Khatib, ingénieure en transport basée à Tanger, illustre cette dynamique : « Quand j’étais étudiante, je devais attendre des jours pour traverser en ferry à cause des vents forts. Aujourd’hui, je participe à des groupes de travail avec des collègues espagnols sur la mobilité durable. Le tunnel, c’est aussi ça : une culture de collaboration qui se construit au quotidien. » Ce type d’échange humain, souvent invisible, est pourtant au cœur du succès futur du projet.

Le Maroc, qui co-organisera la Coupe du monde de football en 2030 avec l’Espagne et le Portugal, bénéficie déjà d’une visibilité internationale accrue. Cette exposition pourrait servir de catalyseur pour accélérer les décisions politiques autour du tunnel. Selon les analystes, l’échéance de 2040, souvent évoquée, n’est pas qu’une projection technique : c’est aussi une promesse politique, un cap fixé pour que les générations futures héritent d’un lien physique entre deux mondes longtemps séparés par une frontière liquide.

Quels bénéfices économiques peut-on attendre pour les régions concernées ?

Les retombées économiques du tunnel seraient profondes, tant en Espagne qu’au Maroc. Pour les régions andalouses de Cadix et de Málaga, mais aussi pour les villes marocaines de Tanger et Tétouan, ce projet pourrait relancer l’emploi, attirer des investissements étrangers et dynamiser les filières industrielles. Les experts de CAPMAD, un think tank spécialisé dans les politiques de développement transfrontalières, estiment qu’un tunnel ferroviaire pourrait augmenter de 30 % les échanges commerciaux entre le Maroc et l’UE d’ici 2040.

Le Maroc, déjà intégré dans les chaînes de production européennes (notamment dans l’automobile et l’aéronautique), pourrait devenir un véritable hub logistique pour l’Afrique de l’Ouest. Les entreprises basées à Tanger Med, le plus grand port d’Afrique, pourraient acheminer leurs marchandises directement vers l’Europe via un train à grande vitesse, sans dépendre des aléas maritimes. « Ce n’est pas seulement un tunnel, c’est une autoroute ferroviaire du futur », explique Karim Zerouali, directeur d’une entreprise de logistique basée à Tanger.

Par ailleurs, la demande pour des liaisons rapides ne cesse de croître. En mai 2025, la compagnie Balearia lancera un nouveau service de ferry à grande vitesse entre Tarifa et Tanger, capable de transporter 2 000 passagers et 600 véhicules en moins de 45 minutes. Ce succès commercial montre qu’il existe un marché fort pour les connexions rapides. Le tunnel ne remplacera pas ces services, mais il les complétera, en offrant une alternative 24h/24, quelles que soient les conditions météorologiques.

Le tunnel peut-il contribuer à la transition énergétique ?

Oui, et c’est là l’un des aspects les plus innovants du projet. Le tunnel pourrait intégrer des lignes électriques souterraines pour transporter l’énergie solaire produite dans les centrales marocaines vers l’Europe. Le Maroc dispose de l’un des plus grands parcs solaires au monde, à Ouarzazate, et ambitionne de devenir un exportateur d’énergie verte. Ce tunnel pourrait donc devenir un « câble énergétique » autant qu’une liaison ferroviaire, s’inscrivant pleinement dans le Pacte vert européen.

Quels obstacles techniques et environnementaux doivent encore être surmontés ?

Le défi technique est colossal. Le tunnel devra traverser une zone sismique active, avec des fonds marins instables et des courants puissants. Il dépasserait en profondeur et en complexité l’Eurotunnel entre la France et l’Angleterre, ainsi que le tunnel norvégien de Ryfast, l’un des plus profonds au monde. Les ingénieurs devront développer des technologies de forage résistantes aux pressions extrêmes et aux risques de glissements de terrain.

Les préoccupations environnementales sont également majeures. Le détroit de Gibraltar abrite une biodiversité marine exceptionnelle, avec des espèces menacées comme le dauphin commun ou le marsouin noir. Les forages sous-marins pourraient perturber les écosystèmes sensibles. Des études d’impact environnemental sont en cours, mais les ONG écologistes restent vigilantes. « On ne peut pas sacrifier la mer au nom du progrès », affirme Lina Ferroukhi, biologiste marine à l’université de Cadix. « Il faut des garanties strictes sur la protection des fonds marins. »

Enfin, les retards passés du projet alimentent la méfiance. Lancé dans les années 1980, puis relancé dans les années 2000, il a toujours buté sur des questions de financement, de souveraineté ou de priorités politiques. Aujourd’hui, la coopération semble plus solide, mais rien n’est encore gravé dans le marbre.

Le tunnel sera-t-il un symbole d’unité ou un creuset de tensions ?

Cette question hante les débats. D’un côté, le tunnel pourrait devenir un modèle de coopération intercontinentale, un pont entre cultures, religions et économies. De l’autre, il risque d’exacerber des inégalités. Si les bénéfices sont concentrés dans les grandes villes, les populations rurales des deux côtés du détroit pourraient se sentir exclues. De plus, une ouverture accrue des frontières pourrait raviver des tensions migratoires, comme celles observées à Ceuta ou Melilla.

Pour Fatima Najjar, enseignante à Fnideq, ville frontalière marocaine : « On parle beaucoup de trains et d’échanges, mais on oublie les familles séparées par la mer. Mon frère vit à Algeciras. Parfois, on ne se voit qu’une fois par an à cause des retards ou des fermetures. Si le tunnel permet de se retrouver plus facilement, alors il aura déjà réussi. » Ce type de témoignage rappelle que derrière chaque grand projet d’infrastructure, il y a des vies humaines qui espèrent, attendent, et parfois doutent.

A retenir

Quel est l’objectif principal du tunnel sous le détroit de Gibraltar ?

Le projet vise à créer une connexion ferroviaire permanente et résiliente entre le Maroc et l’Espagne, facilitant les échanges économiques, culturels et humains entre l’Afrique et l’Europe. Il s’inscrit dans une vision de rapprochement stratégique et de renforcement des liens bilatéraux.

Quand le tunnel pourrait-il être achevé ?

L’échéance officieuse est fixée à 2040, mais cela dépendra de la progression des études de faisabilité, du financement, et de la coordination politique entre les deux pays. Aucune date n’est encore garantie.

Le tunnel remplacera-t-il les ferries ?

Non, il ne remplacera pas les ferries, mais il les complétera. Il offrira une alternative fiable, indépendante des conditions météorologiques, particulièrement utile pour le transport de fret et les liaisons régulières de passagers.

Quels sont les principaux défis techniques ?

Le tunnel devra traverser une zone sismique active, atteindre des profondeurs sans précédent (475 mètres), et résister à des pressions extrêmes. Les technologies de forage devront être adaptées à ces conditions uniques, ce qui représente un défi d’ingénierie majeur.

Quel impact environnemental est redouté ?

Les travaux de forage sous-marin pourraient perturber les écosystèmes marins du détroit, notamment les habitats de dauphins et d’espèces benthiques. Des études d’impact sont en cours, et des mesures de protection strictes seront nécessaires pour minimiser les dommages.

Le projet est-il financé ?

Pas encore entièrement. L’Espagne a débloqué 1,6 million d’euros pour la mise à jour des études, mais le coût total du tunnel, estimé à plusieurs milliards, n’a pas encore été couvert. Un financement mixte public-privé et une participation de l’Union européenne sont envisagés.

Le tunnel aura-t-il un impact sur la migration ?

Le projet ne prévoit pas de libre circulation des personnes. Les contrôles frontaliers resteront en vigueur. Toutefois, une meilleure connectivité pourrait intensifier les flux migratoires, ce qui nécessitera une coordination accrue entre les autorités marocaines et européennes.

Quel rôle joue le Maroc dans ce projet ?

Le Maroc est un acteur central, à la fois comme partenaire géopolitique, hub logistique et porte d’entrée de l’Afrique. Le pays entend affirmer son leadership régional et renforcer ses liens avec l’Europe à travers ce projet structurant.

Le tunnel peut-il transporter de l’énergie ?

Oui, il est envisagé d’intégrer des câbles électriques dans l’infrastructure pour transporter l’énergie solaire marocaine vers l’Europe, contribuant ainsi à la sécurité énergétique du continent.

Quel est le message humain derrière ce projet ?

Au-delà des enjeux techniques et économiques, le tunnel symbolise l’espoir d’un rapprochement concret entre deux continents, de retrouvailles familiales facilitées, de mobilité accrue pour les étudiants et les travailleurs, et d’une solidarité renouvelée entre peuples séparés par une étroite bande d’eau.