Un pilier de la télé et de la scène s’éteint en 2025 : son héritage perdure

Quand une silhouette familière disparaît, ce n’est pas seulement un acteur que l’on pleure, mais une partie de notre mémoire collective. Celui qui s’en est allé un mercredi d’août 2025, après des mois de silence et de lutte discrète contre la maladie, laissait derrière lui bien plus qu’un palmarès impressionnant. Il emportait avec lui des souvenirs partagés, des émotions tissées au fil des épisodes, des voix murmurées dans l’obscurité des salles de théâtre, et des engagements qui ont résonné bien au-delà du simple divertissement. Sa mort, annoncée sobrement, a frappé comme un coup de théâtre silencieux, tant on croyait son rôle éternel.

Qui était cet acteur dont la disparition a ému toute une génération ?

Jacques Martial, décédé à l’âge de 69 ans, incarnait l’art de la présence sans ostentation. Il n’était pas de ceux qui cherchaient à dominer l’image, mais de ceux qui la traversaient avec une constance rare. Son visage, profondément ancré dans l’imaginaire populaire, restera indissociable du commissaire Navarro, série phare de TF1 diffusée pendant près de deux décennies. Pourtant, réduire son parcours à un seul rôle serait une erreur. Martial a construit une œuvre multiple, fidèle à ses convictions, tissant des liens entre le petit écran, la scène, et l’action publique. Il était de ces artistes dont on mesure l’importance seulement lorsqu’ils ne sont plus là.

Comment Commissaire Navarro a-t-il marqué les esprits ?

Dans Commissaire Navarro, diffusée de 1989 à 2007, Jacques Martial campait l’inspecteur Bain-Marie, partenaire de Roger Hanin. Là où Hanin incarnait la fougue et l’intuition, Martial apportait la retenue, la précision, une forme de rigueur presque monacale. Il n’était pas le héros flamboyant, mais l’homme de l’ombre, celui qui note, observe, et parfois, sauve la situation d’un regard ou d’une phrase bien placée. Ce contraste a fait la force de la série, mais aussi celle de Martial : il n’avait pas besoin de crier pour exister.

Sophie, 58 ans, fan depuis l’enfance : « Quand j’étais ado, je regardais Navarro avec mon père. Bain-Marie, c’était l’oncle que l’on n’avait pas, mais qu’on aurait aimé avoir. Toujours calme, jamais en colère, mais on sentait qu’il avait vécu. Il donnait une impression de sécurité. »

Ce rôle, loin d’être une prison, a servi de tremplin. Il a permis à Martial de toucher un public large, fidèle, qui l’a suivi ensuite dans d’autres aventures, parfois plus exigeantes, toujours plus profondes.

Quelle était la signature de son jeu d’acteur ?

Le jeu de Jacques Martial se caractérisait par une sobriété qui frôlait l’ascèse. Il ne jouait jamais « pour » l’émotion, mais la laissait émerger naturellement. Chaque geste, chaque pause, chaque regard semblait pesé. Cette justesse, cette économie de moyens, ont marqué les réalisateurs qui ont travaillé avec lui.

En 2023, dans l’adaptation d’Une histoire d’amour signée Alexis Michalik, Martial apparaissait dans un rôle de père gravé par le temps et les regrets. Le cinéaste se souvient : « Il entrait dans la scène comme un souffle. Pas de grandes déclarations. Il suffisait qu’il pose les yeux sur un personnage pour que tout change. C’était un acteur de vérité, pas de posture. »

Il ne cherchait jamais à dominer le cadre, mais à le servir. Cette humilité artistique, loin d’affaiblir sa présence, la renforçait. Elle donnait à ses interprétations une authenticité que peu d’acteurs parviennent à atteindre.

Comment sa voix est-elle devenue une icône du doublage ?

Si l’image de Bain-Marie a marqué les esprits, c’est peut-être sa voix qui a le plus durablement imprégné la culture populaire. Jacques Martial fut, pendant des décennies, la voix française de certains des plus grands acteurs américains : Denzel Washington, Wesley Snipes, Samuel L. Jackson. Un paradoxe, tant leurs personnalités semblaient flamboyantes, alors que la sienne était posée, mesurée.

Pourtant, c’est précisément cette dualité qui faisait sa force. Il ne cherchait pas à imiter, mais à traduire. « Le doublage, c’est une forme de théâtre invisible », disait-il dans une interview rare. « Il faut entrer dans le corps de l’autre sans l’écraser. C’est un exercice d’écoute extrême. »

Pierre Lenoir, réalisateur sonore : « Quand Denzel parle en français, c’est Martial que j’entends. Pas un doubleur, un interprète. Il donnait une âme à la voix, même quand le texte était banal. »

Sa voix, chaude, légèrement grave, portait une autorité naturelle, mais jamais arrogante. Elle savait aussi se fondre, s’adapter, sans jamais se perdre.

Quel était son rapport au théâtre, cet art exigeant ?

Le théâtre, pour Jacques Martial, n’était pas un terrain de divertissement, mais de confrontation. Il y a traversé les grands classiques, de Racine à Shakespeare, avec une rigueur qui confinait à la dévotion. Il ne considérait pas la scène comme un lieu de performance, mais de vérité partagée.

À la Comédie-Française, il avait joué Phèdre, non pas dans le rôle principal, mais dans celui du narrateur, une voix off qui commentait la tragédie. « C’était magnifique », raconte Élise Vasseur, comédienne ayant partagé la scène avec lui. « Il ne bougeait presque pas, mais chaque phrase était une révélation. Il faisait vivre les mots comme personne. »

Le théâtre, pour lui, était un espace de dialogue, non seulement avec les autres acteurs, mais avec le public. Il y retrouvait cette proximité qu’il avait perdue à la télévision, envahie par les caméras et les effets spéciaux.

Comment s’est-il engagé au-delà de l’art ?

Après avoir traversé les mondes de l’écran et de la scène, Jacques Martial a choisi de s’engager dans l’action culturelle. De 2010 à 2019, il a présidé la Villette, transformant ce lieu emblématique en espace ouvert, multiculturel, accessible. Il y a lancé des ateliers pour les jeunes, des résidences d’artistes des quartiers, et des programmes d’éducation artistique.

« Il voulait que la culture ne soit pas un luxe, mais un droit », affirme Léa Bouvier, ancienne coordinatrice des projets jeunesse. « Il venait souvent discuter avec les adolescents, sans protocole. Il écoutait. Vraiment. »

En Guadeloupe, son île natale, il a dirigé le Mémorial ACTe, un lieu dédié à la mémoire de l’esclavage et aux cultures afro-descendantes. Là, il a mis en place des expositions itinérantes, des cycles de conférences, et des collaborations internationales. « Il disait que la mémoire, c’est ce qui nous permet de ne pas répéter les erreurs », raconte Manuel Césaire, historien et ami de longue date.

En 2020, il entre en politique en devenant conseiller de Paris, puis adjoint chargé des Outre-mer sous la mandature d’Anne Hidalgo. Un virage que certains ont jugé surprenant, mais qui, pour lui, n’en était pas un. « L’art, c’est du politique silencieux », disait-il. « Moi, j’ai choisi de parler. »

Quels hommages lui ont été rendus après sa disparition ?

La mort de Jacques Martial a été accueillie par un silence respectueux, puis par un flot d’hommages. Anne Hidalgo, dans un communiqué, a salué « un ami cher, un homme d’intégrité, un artiste d’exception ». Elle a annoncé que la Ville de Paris lui rendrait hommage officiellement, sans préciser la forme que prendrait cette cérémonie.

Emmanuel Grégoire, premier adjoint, a publié un message sobre sur les réseaux sociaux : « Une voix s’est tue. Une présence s’est effacée. Mais l’écho reste. »

Des hommages sont venus aussi bien de jeunes comédiens que de réalisateurs de renom. Même Denzel Washington a fait parvenir un message : « La voix que j’entendais en français était plus que fidèle. Elle était fraternelle. »

Quelle est la postérité d’un artiste qui a tout fait, mais rien crié ?

La disparition de Jacques Martial interroge notre rapport à la culture. Dans une époque saturée de visibilité, de bruit, de formats courts, il incarnait l’inverse : la lenteur, la profondeur, la constance. Il n’a jamais cherché à être viral, mais à être vrai.

Sa postérité ne se mesurera pas en audiences ou en likes, mais en ces moments partagés : un père et son fils devant Navarro, un adolescent qui découvre Racine grâce à une voix posée, un habitant de banlieue qui participe à un atelier de théâtre parce qu’un artiste a cru en lui.

Il laisse un vide, non pas parce qu’il était indispensable, mais parce qu’il était irremplaçable. Pas par son talent seul, mais par l’intégrité de son parcours, par la cohérence entre ce qu’il disait, ce qu’il faisait, et ce qu’il était.

Qu’est-ce que sa trajectoire nous apprend sur le lien entre art et engagement ?

Jacques Martial a montré qu’il était possible de traverser les mondes sans se trahir. Il a été acteur sans devenir vedette, doublage sans se fondre dans l’anonymat, théâtre sans se replier sur l’élitisme, et engagement sans basculer dans la posture. Chaque étape de sa vie semblait répondre à une même exigence : servir.

Servir le texte, le public, la mémoire, les territoires oubliés. Il n’a jamais opposé l’art et la cité, mais les a pensés comme complémentaires. « On ne fait pas de culture pour s’isoler, mais pour relier », répétait-il.

Dans un temps où les artistes sont souvent sommés de choisir entre notoriété et intégrité, entre divertissement et message, Martial a tracé une autre voie : celle de la fidélité. À ses origines, à son public, à ses convictions.

A retenir

Quel rôle a fait connaître Jacques Martial au grand public ?

Jacques Martial est devenu une figure emblématique grâce à son rôle de l’inspecteur Bain-Marie dans la série Commissaire Navarro, diffusée sur TF1 de 1989 à 2007. Ce personnage discret, loyal et rigoureux a marqué des générations de téléspectateurs.

Quels acteurs a-t-il doublés en français ?

Il a prêté sa voix à plusieurs stars hollywoodiennes, notamment Denzel Washington, Wesley Snipes et Samuel L. Jackson. Son travail de doubleur était reconnu pour sa justesse, sa profondeur et sa capacité à incarner sans trahir l’original.

Quels engagements publics a-t-il menés ?

Jacques Martial a présidé la Villette, dirigé le Mémorial ACTe en Guadeloupe, et a été conseiller de Paris avant d’être nommé adjoint chargé des Outre-mer en 2022. Il a toujours mis la culture au service de l’éducation, de la mémoire et de l’inclusion.

Quelles distinctions a-t-il reçues ?

Il était chevalier de la Légion d’Honneur et officier des Arts et Lettres, distinctions saluant à la fois son œuvre artistique et son engagement culturel.

Pourquoi sa disparition a-t-elle tant marqué ?

Parce qu’il incarna une forme rare d’artiste engagé, discret et fidèle. Sa mort rappelle que la culture n’est pas seulement spectacle, mais transmission, mémoire, et lien social. Il laisse une empreinte durable, faite de silence, de justesse, et d’humanité.