Dans un contexte marqué par la flambée des prix de l’énergie et une urgence climatique croissante, les initiatives locales prennent une importance capitale. Montigny-en-Arrouaise, petit village des Hauts-de-France, est devenu le laboratoire d’un modèle énergétique inédit en France : l’autoconsommation collective. Ce projet, à la fois technique, économique et humain, illustre comment une communauté rurale peut s’emparer de sa transition énergétique pour en faire un levier de solidarité, de réduction des coûts et d’innovation. À travers des choix audacieux, des partenariats stratégiques et une mobilisation citoyenne, les habitants ont transformé une vision ambitieuse en réalité tangible. Mais comment un village de 317 âmes a-t-il réussi à devenir un pionnier national ?
Comment Montigny-en-Arrouaise est devenu un laboratoire énergétique ?
Le tournant pour Montigny-en-Arrouaise a été pris en 2022, lorsque le maire, Élian Vasseur, a lancé un appel à projets pour repenser la gestion énergétique du village. L’objectif était clair : réduire la dépendance au réseau national, maîtriser les coûts et renforcer la cohésion locale. Le projet d’autoconsommation collective a émergé comme une réponse globale à ces enjeux. En partenariat avec la région Hauts-de-France et des subventions de l’État, la commune a investi 150 000 euros dans l’installation de panneaux solaires sur cinq bâtiments publics : la mairie, l’école, la salle des fêtes, la bibliothèque et un hangar communal.
« Au départ, beaucoup étaient sceptiques. On nous prenait pour des rêveurs », confie Élian Vasseur. « Mais dès que les premiers résultats sont apparus, les habitants ont compris que c’était possible. » En effet, les installations ont non seulement couvert 100 % des besoins des bâtiments publics, mais ont généré un surplus significatif. Ce surplus est désormais redistribué gratuitement aux habitants, via un réseau local intelligent. Deux bornes de recharge pour véhicules électriques ont également été alimentées par cette énergie excédentaire, offrant un service public gratuit et écologique.
Quel est le modèle économique derrière cette réussite collective ?
L’un des aspects les plus innovants du projet réside dans son modèle économique inclusif. Montigny-en-Arrouaise a créé une association d’habitants, baptisée « Énergie Partagée Arrouaise », qui permet aux propriétaires équipés de panneaux photovoltaïques de vendre leur surplus à la communauté à un tarif réduit — environ moitié prix du marché. Cette électricité est ensuite redistribuée aux membres de l’association, selon un système de quotas et de priorités définis collectivement.
« J’ai installé des panneaux il y a trois ans, mais je partais souvent en week-end. Mon installation produisait plus que je ne consommais », explique Léa Mercier, habitante du village et membre de l’association. « Aujourd’hui, je revends mon surplus au réseau local, et ça me rapporte un peu, mais surtout, je sais que mon énergie sert mes voisins. C’est une forme de solidarité concrète. »
Depuis son lancement fin 2023, l’association a vu sa participation passer de 10 à 45 membres. La puissance installée dans le village atteint désormais 83 kWc, dont une partie provient de toits privés. Ce modèle renforce l’économie locale : les bénéfices restent dans la communauté, les entrepreneurs du coin sont sollicités pour les installations, et les coûts énergétiques baissent pour tous.
Quels sont les bénéfices concrets pour les habitants ?
Les retombées sont multiples. D’abord, financières : les foyers participants voient leur facture d’électricité réduite de 20 à 40 %, selon leur consommation et leur niveau d’implication. Ensuite, environnementales : le village a réduit son empreinte carbone de près de 35 tonnes de CO₂ par an. Enfin, sociales : le projet a créé un nouveau lien entre les habitants, autour d’un bien commun — l’énergie.
« Avant, on se croisait au marché ou à la messe. Maintenant, on se retrouve aussi aux réunions de l’association », sourit Julien Cottin, retraité et ancien ingénieur du secteur électrique. « On parle production, consommation, prévisions météo… C’est devenu un vrai sujet de discussion. Et on se sent utiles. »
Comment la technologie rend-elle ce système possible ?
Le succès de Montigny-en-Arrouaise repose sur une technologie fine et accessible. Le village a fait appel à SWEEN, une startup spécialisée dans les communautés d’autoconsommation. Cette société a développé un écosystème intelligent basé sur des émetteurs radio Linky, appelés TeeKY by Pilotic. Ces dispositifs, installés sur chaque compteur participant, permettent de mesurer en temps réel la production et la consommation d’électricité, sans nécessiter de Wi-Fi ni de configuration complexe.
« Ce qui est révolutionnaire, c’est la simplicité », souligne Camille Lefebvre, ingénieure chez SWEEN, qui a accompagné le déploiement sur le terrain. « Les TeeKY collectent les données et les transmettent automatiquement. Les habitants peuvent suivre leur consommation, voir quand l’énergie locale est disponible, et ajuster leurs usages. C’est du smart grid à échelle humaine. »
À travers une application mobile, chaque membre visualise la production collective, son propre bilan énergétique, et reçoit des alertes quand l’énergie solaire est abondante — par exemple, pour lancer le lave-linge ou recharger son véhicule. Ce feedback en temps réel transforme les consommateurs en acteurs énergétiques, conscients de leur impact.
Quel rôle jouent les données dans la gestion du réseau ?
Les données collectées ne servent pas seulement à informer les usagers. Elles permettent aussi d’optimiser la redistribution de l’énergie, de prévoir les pics de production et de gérer les échanges entre les membres. Un algorithme calcule quotidiennement les équilibres entre offre et demande, en tenant compte des prévisions météorologiques et des habitudes de consommation.
« On a constaté que les gens changent leurs comportements naturellement », observe Camille Lefebvre. « Quand ils voient qu’il y a du soleil et que la production est forte, ils anticipent leurs usages. C’est une forme d’intelligence collective qui émerge. »
Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience ?
Montigny-en-Arrouaise démontre qu’il est possible, même dans une petite commune rurale, de créer un système énergétique autonome, durable et inclusif. Le projet repose sur trois piliers : un leadership local engagé, une technologie adaptée, et une mobilisation citoyenne sincère. Ce n’est pas seulement une innovation technique, mais une réinvention du lien social autour d’un bien essentiel.
« On ne parle plus d’énergie comme d’un service invisible et facturé. On en parle comme d’un bien commun, comme l’eau ou l’air », résume Élian Vasseur. « Et ça change tout. »
Le modèle attire déjà l’attention de plusieurs collectivités. Des délégations de villages des Ardennes, du Loiret et de la Drôme se sont rendues sur place pour s’inspirer de l’expérience. Des discussions sont en cours avec des intercommunalités pour déployer des versions élargies du système.
Quels obstacles ont dû être surmontés ?
Le chemin n’a pas été sans difficultés. L’un des principaux freins a été réglementaire : jusqu’en 2020, la loi ne permettait pas facilement la mutualisation de l’énergie entre particuliers. Le cadre juridique de l’autoconsommation collective a évolué grâce à la loi Climat et Résilience, mais les démarches administratives restent complexes. « Il a fallu travailler avec des juristes, des ingénieurs, des élus régionaux », raconte Élian Vasseur. « Mais on a fini par trouver un montage qui respecte la réglementation tout en étant opérationnel. »
Un autre défi a été la méfiance initiale. « Certains pensaient que c’était une arnaque, ou que seuls les riches en profiteraient », se souvient Léa Mercier. « On a fait des réunions publiques, on a invité des experts, on a montré les chiffres. Petit à petit, la confiance s’est installée. »
Quel avenir pour l’autoconsommation collective en France ?
Montigny-en-Arrouaise ouvre une voie prometteuse. Selon l’Ademe, moins de 200 projets d’autoconsommation collective étaient déclarés en France en 2023. Mais ce chiffre pourrait exploser dans les années à venir, porté par la hausse des prix de l’électricité, les incitations publiques et la volonté des territoires de se réapproprier leur énergie.
Le modèle montre aussi que la transition énergétique n’est pas uniquement une affaire de grandes infrastructures ou de politiques nationales. Elle peut commencer dans un village de 317 habitants, sur les toits d’écoles et de maisons individuelles. « Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’on ne peut pas être ambitieux », insiste Julien Cottin. « On a prouvé qu’un village peut être autonome, solidaire, et innovant. »
A retenir
Qu’est-ce que l’autoconsommation collective ?
L’autoconsommation collective permet à plusieurs consommateurs, situés sur un même réseau électrique, de mutualiser la production d’énergie renouvelable — ici, solaire — pour l’utiliser localement. Les surplus sont partagés entre les membres d’une association, selon des règles définies en commun.
Qui peut participer au projet de Montigny-en-Arrouaise ?
Tout habitant du village peut rejoindre l’association « Énergie Partagée Arrouaise ». Les propriétaires avec des panneaux photovoltaïques peuvent revendre leur surplus à moitié prix, tandis que les autres peuvent acheter cette énergie à tarif réduit ou en bénéficier gratuitement si elle provient des installations communales.
Quels sont les coûts et les financements du projet ?
L’investissement initial pour les installations sur bâtiments communaux s’élève à 150 000 euros, financé à 80 % par l’État et la région Hauts-de-France. Les installations privées sont à la charge des particuliers, mais des aides locales et nationales sont mobilisables.
Le système fonctionne-t-il toute l’année ?
Le système est optimisé pour les périodes de forte production solaire, principalement de mars à octobre. En hiver, la production est moindre, mais les besoins des bâtiments publics sont couverts, et les échanges entre particuliers continuent, complétés par le réseau national si nécessaire.
Peut-on reproduire ce modèle ailleurs ?
Oui, le modèle est conçu pour être reproductible. La technologie utilisée est standardisée, les démarches sont documentées, et l’accompagnement de structures comme SWEEN facilite le déploiement. Plusieurs communes sont déjà en phase d’étude pour l’imiter.