À Caen, un laboratoire invente des bioplastiques révolutionnaires pour l’avenir

Les océans bouillonnent, les sols se compactent, l’air que nous respirons transporte désormais des fragments invisibles mais omniprésents. Le plastique, longtemps célébré comme emblème du progrès industriel, s’est mué en fléau silencieux. Alors que des chercheurs comme le professeur Joël Bréard sondent les profondeurs de cette pollution, une réalité s’impose : les nanoplastiques ne sont plus une menace lointaine, mais une intrusion quotidienne dans nos corps, nos écosystèmes, nos vies. À Caen, au sein de l’unité de recherche ABTE, l’équipe EcoTEA mène une enquête scientifique de terrain, croisant toxicologie, environnement et bioprocédés pour comprendre l’ampleur d’un problème qui touche aussi bien les moules du littoral que les poumons d’un enfant en banlieue parisienne.

Qu’est-ce que la pollution par les nanoplastiques et pourquoi est-elle inquiétante ?

Les nanoplastiques sont des fragments de plastique inférieurs à 100 nanomètres, soit mille fois plus petits qu’un cheveu humain. Ils proviennent de la dégradation des objets en plastique, des microfibres textiles, des pneus usés, ou encore des cosmétiques contenant des microbilles. Contrairement aux déchets plastiques visibles, ces particules sont indétectables à l’œil nu, mais elles s’infiltrent partout : dans les eaux de pluie, les nappes phréatiques, les aliments, et même l’air ambiant. Le professeur Joël Bréard, directeur d’EcoTEA, insiste sur ce paradoxe :  Nous avons conçu le plastique pour sa durabilité, mais c’est précisément cette qualité qui en fait un poison à long terme. Il ne disparaît pas, il se divise, se fragmente, et devient plus dangereux encore. 

Des études menées par son équipe montrent que ces particules traversent les barrières biologiques. Elles peuvent pénétrer les cellules, provoquer des inflammations chroniques, et perturber le système endocrinien. Un cas particulier a marqué les esprits : celui d’un patient de 42 ans, Émilien Vasseur, cadre dans une entreprise agroalimentaire à Rouen. Diagnostiqué avec une inflammation pulmonaire persistante sans cause apparente, les analyses de ses tissus ont révélé la présence de nanoplastiques de type PET, identiques à ceux trouvés dans les bouteilles d’eau.  Je n’avais jamais pensé que ce que j’achetais au supermarché pouvait me revenir dans les poumons,  témoigne-t-il, encore sous le choc.

Comment les nanoplastiques pénètrent-ils dans notre organisme ?

La contamination se fait par trois voies principales : l’alimentation, l’inhalation et l’absorption cutanée. Les produits de la mer, notamment les coquillages filtrants comme les moules ou les huîtres, concentrent ces particules en grande quantité. Une étude menée en Normandie sur des échantillons prélevés dans la baie de la Seine a montré que 90 % des moules analysées contenaient des nanoplastiques, principalement issus des déchets urbains rejetés par les stations d’épuration.

L’inhalation est une autre porte d’entrée, particulièrement redoutable en milieu urbain. Les particules en suspension dans l’air proviennent des pneus, des freins de voitures, des vêtements synthétiques, et des emballages qui se dégradent. Clara Mendès, enseignante à Caen et mère de deux enfants, a participé à une campagne de mesure de la qualité de l’air dans les écoles.  On a installé des capteurs dans la cour de récréation. Les résultats étaient alarmants : des niveaux élevés de particules plastiques, surtout en fin d’après-midi, quand la circulation est dense. Je me demande combien de ces fragments mes élèves respirent chaque jour. 

Quant à l’absorption cutanée, elle concerne surtout les utilisateurs de cosmétiques ou de produits ménagers contenant des microplastiques. Bien que l’Union européenne ait interdit certains composants, des formulations complexes échappent encore au contrôle.  Le problème,  explique le professeur Bréard,  c’est que les réglementations sont en retard sur la science. On découvre les effets toxiques après des années d’exposition généralisée. 

Quel est l’impact des nanoplastiques sur l’environnement ?

Les écosystèmes aquatiques sont les plus touchés. Dans la Seine, les prélèvements effectués par EcoTEA révèlent une concentration croissante de nanoplastiques, même en amont des zones urbaines. Ces particules sont absorbées par le plancton, puis remontent la chaîne alimentaire, contaminant poissons, oiseaux, et enfin les humains. Le phénomène est amplifié par l’adsorption : les nanoplastiques attirent et concentrent des polluants chimiques comme les pesticides ou les métaux lourds, devenant ainsi des vecteurs de toxicité multiple.

Sur les sols, la situation est tout aussi préoccupante. Les paillis agricoles en plastique, utilisés pour protéger les cultures, se fragmentent avec le temps. Les agriculteurs comme Théo Lacroix, installé près de Lisieux, constatent une baisse de la fertilité de leurs terres.  On pensait que ces bâches étaient une solution, mais elles se désintègrent, et on retrouve des résidus partout. On laboure, et on voit des morceaux de plastique ressortir. C’est déprimant. 

Les nanoplastiques perturbent aussi la faune du sol, comme les vers de terre ou les micro-organismes indispensables à la décomposition de la matière organique. Une expérience menée en laboratoire a montré que des vers exposés à des sols contaminés présentaient une activité réduite de 40 %, avec des conséquences directes sur la qualité des cultures.

Le recyclage est-il une solution viable face à cette pollution ?

La réponse, selon les chercheurs d’EcoTEA, est nuancée.  Le recyclage est nécessaire, mais il ne suffit pas,  affirme Joël Bréard.  Beaucoup de plastiques ne sont pas recyclables à l’infini. Chaque cycle de recyclage dégrade la qualité du matériau, et au bout de quelques itérations, il finit en décharge ou incinéré. 

De plus, le recyclage ne résout pas le problème des nanoplastiques déjà libérés dans l’environnement.  On peut recycler une bouteille, mais on ne peut pas recycler les microparticules qui se sont détachées pendant son utilisation ou sa dégradation,  précise la chercheuse Aïcha Benali, membre de l’équipe. Elle cite l’exemple des machines à laver : chaque cycle libère des milliers de microfibres de polyester dans les eaux usées, et les stations d’épuration ne parviennent pas à toutes les retenir.

L’illusion du recyclage parfait, selon elle, a servi d’alibi aux industriels pour continuer à produire sans frein.  On nous a fait croire que jeter un flacon dans la poubelle jaune suffisait. En réalité, moins de 10 % des plastiques produits sont réellement recyclés. Le reste pollue. 

Quelles alternatives existent pour réduire cette pollution ?

La solution passe par une transformation en profondeur des modes de production et de consommation. EcoTEA collabore avec des start-ups normandes pour développer des matériaux biosourcés et biodégradables. L’une d’elles, BioSolve, a mis au point un emballage à base d’algues qui se décompose en quelques semaines dans l’eau de mer.  On ne peut pas tout remplacer du jour au lendemain,  reconnaît le fondateur, Romain Kéroul,  mais on peut commencer par les usages jetables : pailles, films, emballages de fruits. 

D’autres pistes sont explorées : la filtration à l’échelle des machines à laver, la création de normes plus strictes pour les produits cosmétiques, ou encore l’enseignement de l’éco-citoyenneté dès le plus jeune âge. À l’école primaire de Hérouville-Saint-Clair, les élèves participent à un programme  Zéro plastique  : ils trient, comparent les emballages, et réalisent des expériences simples sur la dégradation des matériaux.  Ils rapportent ce qu’ils apprennent à la maison,  sourit leur enseignante, Solène Dubreuil.  Un parent m’a dit que son fils l’avait empêché d’acheter des yaourts en pots individuels. C’est petit, mais c’est déjà ça. 

Quelles sont les perspectives de recherche sur les nanoplastiques ?

Les travaux d’EcoTEA s’orientent vers une meilleure caractérisation des effets biologiques des nanoplastiques, notamment sur le développement fœtal et le cerveau. Des études sur des modèles animaux montrent des perturbations neurologiques chez les souris exposées in utero.  On observe des comportements anormaux, une mémoire altérée,  explique la neurotoxicologue Lina Chakir.  Si cela se confirme chez l’humain, on parle d’un impact intergénérationnel. 

L’équipe développe aussi des outils de détection plus sensibles, capables d’identifier les nanoplastiques dans les tissus humains et les fluides biologiques. Un prototype de capteur optique, testé en laboratoire, pourrait bientôt être utilisé en milieu hospitalier pour évaluer l’exposition individuelle.

Que pouvons-nous faire au quotidien ?

Chaque geste compte. Réduire l’usage des emballages plastiques, privilégier les vêtements en fibres naturelles, installer des filtres sur les machines à laver, éviter les produits cosmétiques contenant des microbilles. Mais au-delà des gestes individuels, c’est un changement de modèle qui est nécessaire.  Il ne faut pas culpabiliser les consommateurs,  insiste Joël Bréard.  Il faut responsabiliser les producteurs. Et exiger des politiques publiques courageuses. 

A retenir

Qu’est-ce qu’un nanoplastique ?

Un nanoplastique est une particule de plastique mesurant moins de 100 nanomètres. Elle provient de la fragmentation de déchets plastiques ou de l’usure de matériaux synthétiques, et peut pénétrer les cellules vivantes.

Les nanoplastiques sont-ils dangereux pour la santé ?

Oui, des études montrent qu’ils peuvent provoquer des inflammations, perturber le système hormonal, et s’accumuler dans les organes. Leur impact à long terme fait l’objet de recherches intensives.

Peut-on éviter l’exposition aux nanoplastiques ?

Il est difficile de l’éviter complètement, mais on peut la réduire en limitant l’usage du plastique jetable, en choisissant des vêtements naturels, et en utilisant des filtres adaptés.

Le recyclage règle-t-il le problème ?

Non. Le recyclage ne concerne qu’une petite partie des plastiques produits, et ne permet pas de récupérer les nanoplastiques déjà libérés dans l’environnement.

Que font les chercheurs pour lutter contre cette pollution ?

Des équipes comme EcoTEA étudient les effets toxiques, développent des outils de détection, et collaborent à la création de matériaux alternatifs. Leur travail vise à informer les décideurs et à inspirer de nouvelles politiques environnementales.