Novembre s’installe, enveloppant les jardins d’un voile humide et grisâtre. Les feuilles tombent, le ciel s’assombrit, et dans les allées des potagers, une question revient comme un écho saisonnier : faut-il encore arroser ? Entre habitudes ancrées, pression sociale du jardin bien entretenu et réalité climatique, les jardiniers oscillent. En cette fin d’automne 2025, marquée par des températures douces et des pluies irrégulières, la réponse n’est pas aussi évidente qu’on pourrait le croire. Pour certains, l’arrosoir est un outil de soin, un geste d’amour envers leurs légumes. Pour d’autres, c’est un reliquat d’un temps où l’on ne comprenait pas encore les subtilités du vivant. À travers observations, témoignages et conseils de professionnels, découvrons ce que cache cette pratique automnale et comment l’adapter intelligemment.
Faut-il arroser son potager en novembre ?
Le poids des traditions jardinières
À Saint-Étienne-de-Beauharnois, Clémentine Laroche, 68 ans, jardinère depuis l’âge de 12 ans, arrose chaque matin ses choux de Bruxelles. Même s’il a plu la veille, je donne un peu d’eau. C’est comme une caresse, ça les rassure , dit-elle en souriant. Son geste, presque mécanique, illustre une croyance largement répandue : arroser, c’est protéger. Pourtant, cette habitude, transmise de génération en génération, ne tient pas toujours compte des évolutions du climat. Les automnes sont aujourd’hui plus humides, plus doux, et souvent plus pluvieux qu’auparavant. On arrose par peur de manquer, pas par besoin réel , analyse Lucien Moreau, maraîcher bio dans le Lot-et-Garonne.
Un climat qui change les règles du jeu
Les données météorologiques de l’automne 2025 montrent une tendance claire : les précipitations de novembre ont été supérieures à la moyenne sur 70 % du territoire. À Lyon, Bordeaux ou Rennes, les jardins reçoivent en moyenne 80 à 120 mm d’eau par mois à cette période. C’est largement suffisant pour maintenir un sol humide, surtout quand on sait que les plantes ralentissent leur croissance en hiver , explique Élise Dubreuil, ingénieure agronome à l’Institut du Végétal. Pourtant, certains jardiniers continuent d’arroser, parfois quotidiennement, convaincus que la pluie ne pénètre pas assez profondément.
Pourquoi le sur-arrosage devient un danger ?
Quand l’eau devient un ennemi du sol
À Montpellier, Thomas Vercel, paysagiste depuis vingt ans, a observé une dégradation inquiétante des sols dans certains jardins : J’ai vu des parcelles où les carottes pourrissaient avant même d’être récoltées. Pas à cause des maladies, mais parce que le sol était constamment gorgé d’eau. Le sur-arrosage compacte la terre, empêche l’oxygénation des racines et favorise le développement de champignons comme le botrytis ou le phytophthora. Un sol trop humide, c’est un sol mort , résume-t-il.
Le vivant du sol – vers de terre, bactéries, champignons mycorhiziens – a besoin d’alternance entre humidité et aération. Un sol saturé d’eau étouffe ces micro-organismes essentiels à la fertilité naturelle. Arroser en novembre, c’est souvent perturber un équilibre fragile , ajoute Élise Dubreuil.
Les plantes n’ont plus soif
En hiver, la photosynthèse ralentit, l’évapotranspiration diminue. Les plantes consomment moins d’eau. Un chou d’hiver a besoin de 30 % d’eau en moins en novembre qu’en juillet , précise Lucien Moreau. Pourtant, certains jardiniers arrosent comme s’ils étaient encore en plein été. C’est une erreur de logique : on pense que les plantes ont besoin de nous, mais en réalité, elles se préparent à dormir.
Quelles plantes ont encore besoin d’eau en novembre ?
Les jeunes semis et les cultures protégées
À Grenoble, Léa Bompard cultive des salades d’hiver sous un tunnel en polycarbonate. Il pleut peu ici en novembre, et mon tunnel me protège aussi de la pluie. Donc oui, j’arrose, mais très légèrement, une fois par semaine , explique-t-elle. En effet, les plantes à l’abri – serre froide, châssis, tunnel – ne bénéficient pas des précipitations naturelles. Les jeunes semis, quant à eux, ont des racines superficielles et fragiles. Un manque d’eau peut les faire dépérir en quelques jours.
Les exceptions sont donc réelles : les semis de mâche, de roquette, de cresson, ou encore les aromatiques comme le persil ou le cerfeuil, nécessitent parfois un arrosage ciblé. Mais l’essentiel est d’observer, pas de suivre un calendrier rigide.
Les signes à surveiller
Avant d’arroser, il faut apprendre à lire les signaux du jardin. Un feuillage flétri, une terre qui se fendille, des jeunes pousses qui jaunissent – autant d’indices d’un manque d’eau. Mais attention : un feuillage mou ou taché peut aussi indiquer un excès d’humidité. Il faut toucher la terre, pas juste regarder , insiste Clémentine Laroche, qui a appris à se fier à ses doigts plutôt qu’à ses habitudes.
Comment adapter son arrosage au rythme naturel ?
Des tests simples pour éviter les erreurs
Le test du doigt reste la méthode la plus fiable. Enfoncer l’index jusqu’à la deuxième phalange dans la terre permet d’évaluer l’humidité à la racine. Si la terre est fraîche, voire humide, inutile d’arroser. Un autre test consiste à prélever un petit échantillon de sol avec une tarière ou une pelle. Une terre sombre, souple et qui tient légèrement en boule est suffisamment hydratée. Grise, friable ou poussiéreuse ? Là, oui, un arrosage léger peut être justifié.
À Nantes, le collectif Jardins Vivants organise des ateliers pour apprendre à écouter la terre . On a tous tendance à trop intervenir, alors que la nature fait très bien le travail toute seule , dit Inès Taouil, animatrice du groupe.
Des gestes malins pour préserver l’humidité
Plutôt que d’arroser, les jardiniers malins préfèrent retenir l’eau naturelle. Le paillage est leur allié numéro un. J’étale une couche de feuilles mortes ou de tontes séchées entre mes rangs de poireaux , raconte Thomas Vercel. Ce couvert végétal protège le sol, limite l’évaporation, et se décompose lentement, enrichissant la terre.
Le binage léger, pratiqué par temps sec, aide aussi à briser la croûte superficielle et à favoriser l’infiltration de l’eau de pluie. Et pour les massifs, les plantes couvre-sol comme le lithosperme ou la pervenche maintiennent une humidité régulière tout en limitant les mauvaises herbes.
Faut-il laisser l’arrosoir au placard ?
Le verdict des experts
La majorité des professionnels sont formels : en novembre, l’arrosage du potager en pleine terre est généralement inutile. La pluie, la rosée et le brouillard apportent assez d’eau pour satisfaire les besoins des légumes d’hiver , affirme Élise Dubreuil. Les risques liés au sur-arrosage – pourrissement des racines, maladies fongiques, compaction du sol – dépassent largement les bénéfices imaginés.
Seules quelques situations justifient une intervention : les jeunes semis, les cultures sous abri, ou les jardins situés en zones particulièrement sèches ou venteuses. Mais même dans ces cas, l’arrosage doit être modéré, ciblé, et toujours précédé d’une vérification de l’humidité du sol.
Un jardin en phase avec les saisons
Laisser la nature s’occuper du jardin, c’est aussi lui redonner sa place dans un écosystème vivant. En arrêtant d’arroser, j’ai vu revenir les vers de terre, les cloportes, même des hérissons , témoigne Léa Bompard. Ce retour du vivant est un signe de santé. Un sol qui respire, c’est un sol fertile.
Et pendant que la terre se repose, le jardinier peut se consacrer à d’autres tâches : préparer les semis de printemps, installer des haies brise-vent, ou simplement observer les oiseaux qui viennent chercher refuge dans les massifs. J’ai compris que jardiner, ce n’est pas seulement agir, c’est aussi savoir attendre , confie Clémentine Laroche, en regardant ses choux sous la bruine matinale.
A retenir
Doit-on arroser en novembre ?
La plupart du temps, non. Les précipitations naturelles, la rosée et le brouillard suffisent à maintenir une humidité adéquate dans le sol. L’arrosage devient superflu et peut même nuire à la santé des plantes et du sol.
Quelles sont les exceptions ?
Les jeunes semis, les cultures sous abri (serre, tunnel, châssis) et les plantes en situation d’exposition au vent ou en sol très drainant peuvent nécessiter un arrosage léger et ponctuel. L’observation du sol et des plantes reste essentielle.
Comment vérifier si le sol a besoin d’eau ?
Insérez votre doigt jusqu’à la deuxième phalange dans la terre. Si elle est fraîche ou légèrement humide, l’arrosage n’est pas nécessaire. Une terre sombre et souple indique une bonne hydratation. Une terre pâle, sèche ou en miettes peut nécessiter un apport d’eau.
Quels gestes adopter pour éviter le sur-arrosage ?
Privilégiez le paillage avec des feuilles mortes ou du broyat, effectuez un binage léger pour aérer la surface, et installez des plantes couvre-sol. Ces pratiques préservent l’humidité naturelle, limitent les interventions et renforcent la biodiversité du jardin.
Quels sont les risques du sur-arrosage en automne ?
Le sur-arrosage favorise la compaction du sol, étouffe les racines, ralentit la décomposition de la matière organique et favorise les maladies fongiques. Il perturbe l’équilibre du vivant et peut entraîner la perte de cultures entières.