En 2024, une expérience scientifique inédite a réveillé bien plus que des gènes anciens : elle a relancé un débat mondial sur l’avenir de la nature, de la technologie et de notre responsabilité collective. Dans un laboratoire du nord de la Suède, une petite souris brune, aux allures ordinaires, a poussé les chercheurs à reconsidérer les limites du vivant. Son pelage, trois fois plus dense que la normale, brillait d’un éclat inhabituel sous les lampes stériles. Ce n’était pas un mutant du hasard, mais le fruit d’une ambition démesurée : recréer, pas un mammouth, mais ses traits les plus résistants, pour en faire un allié dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ce rongeur, bientôt surnommé « la souris laineuse », est devenu bien plus qu’un sujet d’étude. Il incarne une promesse fragile, un espoir scientifique, et une alerte éthique. À travers des témoignages, des analyses et des jalons technologiques, cet article explore comment une créature étrange pourrait un jour redessiner les écosystèmes du Grand Nord.
Peut-on restaurer un écosystème en modifiant le vivant ?
Le projet ne vise pas à ressusciter le mammouth laineux comme une attraction de parc préhistorique, mais à en recréer certaines fonctions écologiques. Depuis des décennies, les scientifiques observent que la toundra arctique, autrefois dynamique, s’appauvrit sous l’effet du réchauffement. Le sol gelé, le pergélisol, fond de plus en plus vite, libérant du méthane, un puissant gaz à effet de serre. Or, les mammouths, il y a des milliers d’années, entretenaient ces paysages en piétinant la neige, en broutant les arbustes et en fertilisant le sol. Leur disparition a laissé un vide fonctionnel que certains chercheurs espèrent combler.
Élise Kervoazenn, écologue au CNRS et membre du consortium ArctosGen, explique : « Nous ne voulons pas un spectacle du passé, mais un outil pour l’avenir. Si un animal capable de résister au froid intense et d’interagir activement avec son environnement pouvait être conçu, il pourrait aider à stabiliser les sols, à limiter la fonte du pergélisol, et à favoriser la repousse d’herbacées qui reflètent mieux la lumière solaire. »
Pour y parvenir, les équipes se tournent vers l’édition génomique. En combinant des séquences d’ADN extraites de mammouths congelés avec le génome de l’éléphant d’Asie — qui partage 99,6 % de ses gènes avec son cousin disparu —, elles tentent de créer un « équivalent fonctionnel ». Ce n’est pas un clone, mais un hybride modifié, conçu pour remplir un rôle écologique précis.
Pourquoi commencer par une souris ?
Avant de manipuler des éléphants, dont la gestation dure près de deux ans, les chercheurs ont besoin de modèles rapides pour tester leurs hypothèses. C’est là que la souris entre en scène. En 2023, l’équipe de Viktor Lindgren, généticien à l’Institut Karolinska, a réussi à insérer plusieurs gènes liés au pelage du mammouth dans le génome de souris de laboratoire. Le résultat, publié dans une revue spécialisée, a surpris même les plus sceptiques.
« Quand nous avons vu les premières portées, nous avons cru à une erreur », confie Viktor. « Le pelage était épais, soyeux, avec une couleur brun doré, très proche de ce que l’on observe sur les spécimens fossilisés. Mais leur comportement, leur taille, leur métabolisme — tout le reste était normal. »
Cette « souris laineuse » n’a pas vocation à être relâchée dans la nature. Elle sert de preuve de concept. Elle montre que des traits spécifiques, même anciens, peuvent être réactivés de manière ciblée. « Ce n’est pas un mammouth miniature, corrige Viktor. C’est une démonstration que l’on peut transférer des fonctions adaptatives sans tout bouleverser. C’est rassurant, mais aussi inquiétant. »
Quels sont les risques d’un tel retour du vivant ?
Pour certains, comme le biologiste écologue Samuel N’Tchoré, cette approche soulève des alarmes. « Modifier un organisme pour qu’il ressemble à une espèce disparue, c’est une chose. L’introduire dans un écosystème complexe, c’en est une autre. Un pelage épais ne fait pas un mammouth. Il lui manquera les comportements sociaux, les interactions avec d’autres espèces, les réponses immunitaires face aux pathogènes actuels. »
Le risque d’un « animal fantôme » est réel : un être qui porte les traits d’un ancien géant, mais qui ne fonctionne pas comme lui. Pire, il pourrait perturber les équilibres existants. En Sibérie, où des projets de réintroduction de bisons et de rennes ont déjà eu des effets imprévus, les leçons sont nombreuses. « On a vu des herbivores modifier la végétation, attirer des prédateurs, ou propager des maladies. Imaginez cela avec un animal hybride, jamais vu auparavant », prévient Samuel.
Et si l’animal souffre ? C’est une question que se pose régulièrement Léana Berthier, éthicienne au sein du comité d’évaluation des biotechnologies. « Nous avons le devoir de considérer le bien-être de ces êtres. Sont-ils capables de vivre dans un environnement naturel ? Sont-ils sujets à des douleurs, des malformations, des stress invisibles ? La science ne peut pas tout prévoir. »
La technologie a-t-elle dépassé l’éthique ?
Le progrès est indéniable. Les techniques d’édition génétique comme CRISPR ont rendu possible ce qui semblait fantaisiste il y a encore dix ans. Mais la vitesse de l’innovation inquiète. « Nous validons des hypothèses clés, admet Viktor Lindgren. La dé-extinction sort de la spéculation pure. Mais cela ne signifie pas qu’on doit le faire. »
Le débat public peine à suivre. Les médias parlent de « Jurassic Park arctique », attirant l’attention, mais parfois au détriment de la nuance. Des fonds privés affluent, attirés par la promesse d’un impact environnemental fort. Pourtant, les garde-fous institutionnels restent fragiles. Aucun cadre international ne régule la création d’espèces hybrides ou la réintroduction de formes de vie modifiées.
« Le danger, ce n’est pas la science, c’est l’absence de dialogue », insiste Élise Kervoazenn. « Si on ne construit pas des processus de décision inclusifs — avec des scientifiques, des communautés locales, des éthiciens, des peuples autochtones —, on risque de créer des solutions techniques qui aggravent les problèmes sociaux et écologiques. »
Quel rôle pour les humains dans cette nouvelle nature ?
Dans le village de Tuktoyaktuk, au nord du Canada, les Inuits suivent ces projets avec un mélange de curiosité et de méfiance. Livia Aksalik, enseignante et transmettrice de savoirs traditionnels, observe : « Nous vivons déjà avec des changements rapides. La glace fond, les animaux migrent autrement, les saisons se dérèglent. Mais introduire un animal conçu en laboratoire ? Cela nous inquiète. Qui décide ? Qui en paiera les conséquences ? »
Pour les populations du Grand Nord, la nature n’est pas un terrain d’expérimentation, mais un espace de vie, de culture, de mémoire. « Nos ancêtres coexistaient avec les mammouths, rappelle-t-elle. Mais ils ne les ont pas créés. Ils les respectaient. Aujourd’hui, on parle de les « fabriquer ». C’est une rupture profonde. »
Le projet, s’il devait aboutir, devrait intégrer ces voix. Des discussions sont en cours avec des représentants autochtones en Alaska, en Sibérie et au Groenland. Mais les désaccords persistent. Certains voient dans ces hybrides une chance de restaurer des paysages dévastés. D’autres y voient une forme de colonialisme scientifique : des chercheurs du sud qui imposent leurs solutions au nord, sans en connaître les réalités.
Quels bénéfices concrets pour la planète ?
Malgré les doutes, les arguments écologiques restent puissants. Des simulations menées par l’Université de Lund montrent qu’un herbivore de grande taille, capable de piétiner la neige et de maintenir une couverture végétale dense, pourrait réduire la fonte du pergélisol de 25 % dans certaines zones. Cela représenterait des millions de tonnes de CO₂ évitées chaque année.
De plus, le projet stimule des innovations collatérales. La manipulation de gènes liés à la tolérance au froid pourrait aider à développer des cultures résistantes au gel, ou des animaux d’élevage mieux adaptés aux changements climatiques. Des filières de formation émergent, notamment en biotechnologie environnementale, attirant de jeunes chercheurs comme Aïda M’Bengué, étudiante en génomique à Lyon : « Ce n’est pas seulement un projet scientifique. C’est un laboratoire pour repenser notre relation au vivant. »
La vigilance comme condition du progrès
L’avancée est impressionnante, mais elle doit rester encadrée. Chaque étape — de la souris laineuse à l’éléphant hybride — doit être soumise à une évaluation rigoureuse, transparente, et collective. Les objectifs ne doivent pas être seulement techniques, mais écologiques, sociaux, éthiques.
Le rongeur du laboratoire suédois n’est pas un monstre. Il est petit, silencieux, inoffensif. Pourtant, il ouvre une brèche immense. Il montre que nous pouvons réactiver des fragments du passé. Mais il nous oblige aussi à répondre à une question plus ancienne : que voulons-nous faire de cette puissance ?
A retenir
Qu’est-ce que la « souris laineuse » ?
Il s’agit d’un rongeur de laboratoire modifié génétiquement pour exprimer des traits du mammouth laineux, notamment un pelage trois fois plus dense. Ce n’est pas un clone, mais une preuve de concept destinée à tester la faisabilité de la réactivation de gènes anciens.
Pourquoi viser le mammouth ?
Le mammouth laineux jouait un rôle écologique clé dans les écosystèmes arctiques : piétinement de la neige, limitation de la croissance des arbustes, entretien des prairies. Le projet vise à recréer un animal capable de remplir ces fonctions pour lutter contre la fonte du pergélisol.
Quels sont les risques environnementaux ?
Les risques incluent des interactions imprévisibles avec la faune locale, la propagation de maladies, ou des déséquilibres dans les chaînes alimentaires. Un animal hybride pourrait aussi ne pas survivre ou souffrir dans un environnement naturel.
Quelle est la position des peuples autochtones ?
Les communautés du Grand Nord, comme les Inuits, expriment à la fois de l’intérêt et de la méfiance. Elles soulignent l’importance de leur inclusion dans les décisions, car elles vivent directement les impacts du changement climatique et de la modification des écosystèmes.
La dé-extinction est-elle déjà possible ?
Non, pas au sens strict. On ne recrée pas l’espèce entière, mais certains de ses traits. Le but n’est pas de ressusciter le passé, mais de concevoir des organismes capables de répondre à des enjeux écologiques actuels.