Chaque automne, un spectacle silencieux se joue sous nos yeux : les arbres se déshabillent, laissant tomber des milliers de feuilles qui tapissent les sols de jardins, parcs et allées. Pour beaucoup, ce tapis doré, rouge ou brun n’est qu’un déchet à évacuer au plus vite. Pour d’autres, au Japon notamment, c’est une ressource précieuse, un cadeau de la nature à ne surtout pas gaspiller. Depuis des générations, les familles japonaises transforment ces feuilles mortes en un compost d’exception, connu sous le nom de kureha. Ce geste simple, presque poétique, révèle une philosophie profonde du jardinage : celle du respect, de la patience et de la circularité. À l’heure où les jardins urbains cherchent des alternatives durables, cette pratique ancestrale s’impose comme une source d’inspiration à la fois écologique, esthétique et pédagogique.
Qu’est-ce que le komorebi, et pourquoi ce concept change-t-il notre regard sur l’automne ?
Le komorebi : quand la lumière et la chute des feuilles créent une harmonie
Le mot japonais komorebi désigne la lumière du soleil qui filtre à travers les branches dénudées des arbres en automne. Ce phénomène, à la fois visuel et sensoriel, symbolise une transition douce, presque méditative, entre les saisons. Pour Aiko Tanaka, horticultrice à Kyoto, ce moment est sacré : Le komorebi, c’est la nature qui nous invite à ralentir. Ce n’est pas la fin d’un cycle, mais le début d’une transformation. Les feuilles qui tombent ne sont pas des déchets, elles sont le matériau brut d’un renouveau. Ce regard, à la fois poétique et pragmatique, est au cœur de la relation que les Japonais entretiennent avec leur jardin. Là où d’autres voient une corvée, eux perçoivent une opportunité de coopération avec la nature.
Un rituel familial plutôt qu’une tâche ingrate
Dans les quartiers résidentiels de Nara, chaque automne, les familles sortent leurs outils traditionnels : râteaux en bambou, paniers tressés, grands sacs de jute. Les enfants, comme Kenji, 11 ans, apprennent à ramasser les feuilles avec soin, en alternant celles de ginkgo, d’érable ou de chêne. Mon grand-père me dit toujours : “Chaque feuille est une promesse de vie. On ne jette pas une promesse.” Ce geste, transmis de génération en génération, n’est pas seulement pratique : il forge une conscience écologique profonde. Contrairement à l’image du jardinier pressé de nettoyer sa pelouse, ici, on prend le temps. On observe, on collecte, on respecte. Le ramassage devient un moment de partage, un acte de transmission.
Comment fonctionne la méthode kureha, et quels sont ses principes fondamentaux ?
La fabrication du kureha : un processus lent, naturel et sans intrants
Le kureha est un compost 100 % feuilles mortes, laissé à maturer sur plusieurs mois dans un coin ombragé du jardin. Contrairement aux composts mixtes, souvent enrichis de déchets de cuisine ou de tonte de gazon, le kureha mise sur la pureté du matériau. Les feuilles sont empilées en couches, parfois alternées selon leur densité : fines (érable, bouleau) et épaisses (châtaignier, houx). L’humidité naturelle du sol et les pluies automnales suffisent à initier la décomposition. On n’ajoute rien, sauf parfois un peu d’eau en cas de sécheresse , précise Haruto Sato, jardinier à Osaka. L’important, c’est de laisser la nature faire son travail, sans la brusquer.
Les gestes clés pour réussir son propre tas de feuilles
La réussite du kureha repose sur quelques règles simples mais essentielles :
- Choisir un emplacement abrité du vent, mais bien drainé.
- Alterner les types de feuilles pour éviter le compactage.
- Aérer le tas toutes les trois semaines avec une fourche ou un bâton.
- Éviter les feuilles de noyer ou de platane, qui décomposent lentement ou contiennent des substances inhibitrices.
- Attendre entre 4 et 6 mois pour obtenir un compost fin, noir et friable.
Ce processus, accessible à tous, peut même être adapté aux balcons ou petits jardins. Léa Béranger, habitante d’un immeuble à Bordeaux, a mis en place un système en bac de bois : J’ai récupéré les feuilles du parc voisin, je les ai mélangées dans un grand contenant, et au printemps, j’avais un terreau parfait pour mes géraniums et mes vivaces.
Quels sont les bienfaits concrets du compost kureha sur un jardin ?
Un amendement naturel qui régénère les sols
Une fois mûr, le kureha offre un terreau léger, riche en humus et en micro-organismes bénéfiques. Il améliore la structure du sol, favorise la rétention d’eau et stimule l’activité des vers de terre. Depuis que j’utilise le kureha, mon sol argileux est devenu plus souple, plus aéré , témoigne Claire Dubreuil, maraîchère en région parisienne. Mes plantations poussent mieux, et j’arrose deux fois moins en été. Ce compost est particulièrement efficace pour les massifs de vivaces, les haies et les pelouses, où il agit en profondeur sans altérer l’esthétique du jardin.
Une alternative écologique aux engrais chimiques
Face aux engrais synthétiques, souvent responsables de la pollution des nappes phréatiques, le kureha propose une solution locale, gratuite et durable. Il ne dégage aucune odeur désagréable, ne nécessite pas d’apport d’azote, et s’intègre parfaitement dans une logique de jardinage au naturel. Comparé aux composts classiques, il est plus homogène, plus léger, et idéal pour les plantes sensibles. J’utilise le kureha pour mes plantes méditerranéennes : lavande, romarin, thym , explique Marc Lefebvre, jardinier à Montpellier. Elles adorent ce substrat aéré, qui imite parfaitement les sols de garrigue.
Quelle philosophie se cache derrière cette pratique, et comment peut-elle inspirer nos jardins ?
Un geste écologique qui réduit les déchets
En France, des milliers de tonnes de feuilles mortes sont collectées chaque automne, brûlées ou envoyées en centre de tri. Le kureha invite à repenser ce gaspillage. Chaque famille pourrait produire son propre compost, réduisant ainsi la pression sur les services municipaux , souligne Émilie Rousseau, spécialiste en transition écologique. Et en plus, on redonne de la vie à son jardin. Ce cercle vertueux, où rien ne se perd, tout se transforme, s’inscrit pleinement dans les enjeux actuels de sobriété et de circularité.
Un art de vivre qui cultive la patience et la connexion à la nature
Le kureha n’est pas seulement une technique : c’est une invitation à ralentir, à observer les rythmes de la nature, à accepter les saisons telles qu’elles viennent. En Occident, on veut tout de suite. Un jardin parfait, des fleurs toute l’année, un gazon sans défaut , observe le philosophe du jardinage Julien Moreau. Le kureha, lui, nous apprend à attendre, à faire confiance au temps. C’est une forme de résistance douce à l’immédiateté. Pour les enfants, c’est aussi une leçon vivante : voir une feuille pourrir pour nourrir une plante, c’est comprendre la mort comme une étape de la vie.
Comment adopter le kureha chez soi, même sans grand jardin ?
Des étapes simples pour se lancer dès cet automne
La période idéale pour commencer est la mi-novembre, lorsque les arbres ont largement déposé leurs feuilles. Voici les étapes clés :
- Repérer un coin du jardin, un bac en bois ou un grand sac en jute pour contenir les feuilles.
- Remplir progressivement en alternant les essences pour une décomposition homogène.
- Humidifier légèrement si le tas est trop sec, surtout en hiver sec.
- Aérer toutes les trois semaines pour éviter les fermentations anaérobies.
- À partir du printemps, tamiser le compost et l’utiliser en surface ou en mélange pour les plantations.
Même sans jardin, on peut participer : les feuilles du parc, celles du trottoir, ou celles offertes par un voisin deviennent des ressources précieuses. J’ai convaincu les résidents de mon immeuble de déposer leurs feuilles dans un bac commun , raconte Sophie Nguyen, habitante de Lyon. On en fait du compost pour les jardinières du hall d’entrée. Cela crée du lien, et on a des plantes superbes.
Une tradition qui peut s’adapter à nos réalités urbaines
Le kureha n’est pas réservé aux jardins japonais ou aux maisons individuelles. Il s’adapte à la ville, aux copropriétés, aux écoles. Des initiatives locales, comme les composts de quartier ou les ateliers de jardinage participatif, peuvent s’inspirer de ce savoir-faire. Ce n’est pas la taille du jardin qui compte, c’est l’intention , affirme Camille Dubois, animatrice d’un jardin partagé à Toulouse. Transformer une feuille en terre fertile, c’est déjà un acte de résilience.
Conclusion
Le kureha est bien plus qu’une méthode de compostage : c’est une philosophie du jardinage, une réponse élégante et humble aux défis écologiques de notre temps. En redonnant de la valeur à ce que nous considérons comme des déchets, il nous invite à repenser notre rapport à la nature. Il nous apprend que la fertilité ne vient pas des produits coûteux, mais des gestes simples, répétés avec constance. Cet automne, plutôt que de ramasser les feuilles pour les jeter, pourquoi ne pas les laisser vivre une seconde vie ? Peut-être que sous nos pieds, dans ce tapis doré que nous foulons sans y penser, se cache la promesse d’un printemps plus riche, plus vivant, plus juste.
A retenir
Qu’est-ce que le kureha ?
Le kureha est une méthode traditionnelle japonaise de compostage exclusif des feuilles mortes. Elle consiste à empiler les feuilles dans un coin du jardin et à les laisser se décomposer lentement, sans ajout de déchets organiques ni produits chimiques, pour obtenir un terreau léger et riche en humus.
Quel est le temps de maturation du kureha ?
Le compost kureha nécessite entre 4 et 6 mois pour atteindre sa maturité, selon le type de feuilles, l’humidité ambiante et la fréquence des aérations. Il est généralement prêt à être utilisé au printemps suivant.
Peut-on faire du kureha en ville ou sur un balcon ?
Oui, le kureha peut être adapté aux petits espaces. Il suffit d’utiliser un bac en bois, un grand sac en jute ou une caisse aérée. L’important est de bien alterner les feuilles, de les humidifier légèrement et de les aérer régulièrement.
Quelles feuilles sont les plus adaptées au kureha ?
Les feuilles fines et décomposables rapidement, comme celles d’érable, de bouleau ou de tilleul, sont idéales. On évite en revanche celles de noyer (toxiques pour certaines plantes) ou de platane (trop coriaces).
Quels sont les bienfaits du kureha sur les plantes ?
Le compost kureha améliore la structure du sol, favorise la rétention d’eau, stimule la vie microbienne et nourrit les plantes de manière durable. Il est particulièrement bénéfique pour les vivaces, les haies et les pelouses, sans risque de brûlure racinaire ni d’odeurs désagréables.