À l’heure où l’accession à la propriété semble de plus en plus inaccessible, certains empruntent des chemins détournés pour réaliser leur rêve immobilier. L’achat d’un bien occupé, longtemps perçu comme une niche risquée, gagne en popularité. Pourtant, derrière l’apparente aubaine se cachent des rouages juridiques complexes, des obligations méconnues et des pièges financiers. En 2025, alors que les prix flambent et les logements libres se raréfient, cette stratégie suscite à la fois l’espoir et l’appréhension. Entre décote alléchante et contraintes incontournables, faut-il vraiment miser sur un logement déjà loué ? Loin des discours simplistes, plongeons dans la réalité terrain, avec des témoignages, des analyses précises et des conseils concrets pour décrypter ce type d’investissement.
Un bien occupé, c’est vraiment moins cher ?
Quelle est la réalité derrière la décote affichée ?
Lorsqu’un bien est vendu occupé, le prix est presque systématiquement revu à la baisse. En moyenne, cette décote s’élève entre 10 % et 20 % par rapport à un bien libre. Mais cette économie apparente ne doit pas masquer la nature même de la transaction. Le vendeur compense l’indisponibilité immédiate du bien : l’acheteur ne peut ni l’occuper, ni le rénover, ni le relouer à sa guise. La décote n’est donc pas un cadeau, mais une compensation pour un manque de liberté.
Clara Lefebvre, 38 ans, conseillère en patrimoine à Lyon, se souvient d’un de ses clients, Julien Morel, qui a acheté un deux-pièces à Villeurbanne occupé par une locataire âgée. Il a négocié 18 % de décote, ce qui semblait énorme. Mais le loyer était figé à 620 € alors que le marché local tourne autour de 780 €. Sur dix ans, ça représente près de 20 000 € de manque à gagner. La décote était séduisante, mais elle ne couvrait pas tout le différentiel.
Quels facteurs influencent réellement le prix de vente ?
La décote n’est pas uniforme. Elle dépend de plusieurs paramètres cruciaux. Le profil du locataire est déterminant : un occupant âgé, bénéficiaire de l’APL, ou en situation de protection (comme les personnes de plus de 65 ans à faibles revenus) réduit la valeur du bien. De même, un bail récent signé il y a moins d’un an limite fortement les perspectives de reprise ou de revalorisation locative.
La localisation joue aussi un rôle majeur. Dans les zones tendues comme Paris, Bordeaux ou Marseille, la pression foncière rend les décotes plus rares, mais lorsqu’elles existent, elles sont très recherchées. À l’inverse, dans les villes moyennes, la décote peut atteindre 25 % si le DPE du logement est médiocre (étiquette E ou F) ou si le locataire accumule des retards de paiement.
En 2025, la réglementation énergétique pèse davantage sur les transactions. Un bien avec un DPE classé F ou G peut voir sa valeur dépréciée de 15 %, même s’il est libre. Si, en plus, il est occupé par un locataire protégé, la décote peut grimper. C’est ce qu’a vécu Élodie Tran, investisseur à Montpellier : J’ai acheté un studio en DPE F, loué à une retraitée. Le prix était 22 % en dessous du marché. Mais j’ai dû engager 12 000 € de travaux après le départ du locataire pour le remettre en conformité. La décote initiale a été absorbée en un an.
Le bail en cours : quels droits, quelles obligations ?
Que signifie reprendre un bail existant ?
Acquérir un bien occupé, c’est automatiquement hériter du bail en cours. Le nouveau propriétaire devient le bailleur, sans pouvoir modifier les conditions : loyer, durée, garanties. Le locataire conserve tous ses droits, y compris celui de rester jusqu’à l’échéance du bail, généralement trois ans pour un logement vide.
Un point souvent sous-estimé : le dépôt de garantie. Il appartient légalement au locataire et doit lui être restitué à la fin du bail, même si l’ancien propriétaire ne l’a pas transféré. J’ai vu des acheteurs se retrouver avec un trou de trésorerie de 1 500 € parce qu’ils ignoraient cette obligation , confie Clara Lefebvre.
Peut-on augmenter le loyer ou modifier les conditions ?
Non, pas avant le renouvellement du bail. Le loyer est figé jusqu’à l’échéance, sauf révision annuelle selon l’IRL. En zone tendue, même cette révision est encadrée. Et si le bail est reconduit tacitement, le loyer reste inchangé, ce qui peut devenir un frein à la rentabilité.
En 2025, la loi impose également que tout nouveau bail respecte les critères de décence énergétique. Un logement classé G ne peut plus être loué, et même un F est fortement encadré. Cela signifie que si le bail prend fin, le propriétaire devra soit réaliser des travaux, soit accepter une baisse de loyer imposée par la loi. Autant de contraintes qui pèsent sur la valeur réelle du bien.
Le rendement locatif : rentable ou illusion ?
Un loyer immédiat, mais durablement figé
L’un des arguments phares de l’achat occupé est la rente immédiate. Pas de vacance locative, pas de frais de recherche de locataire. Pour un investisseur soucieux de sécuriser ses revenus, c’est un atout. Mais ce loyer est souvent en dessous du marché, surtout si le bail date de plusieurs années.
Antoine Berthier, 45 ans, propriétaire de trois biens à Nantes, explique : J’ai acheté un appartement loué 700 € alors que le marché est à 850 €. La décote était de 12 %. Sur le papier, c’est rentable. Mais avec un loyer figé pendant deux ans, j’ai perdu 3 600 € de revenus potentiels.
Quand la sécurité prime sur la performance
Pour certains, cette stabilité est justement le cœur du bénéfice. Je préfère un locataire fiable à un loyer plus élevé mais risqué , affirme Manon Dubreuil, enseignante à Toulouse. Elle a acheté un bien occupé par une famille depuis huit ans. Ils paient à l’heure, entretiennent le logement, et n’ont jamais posé de problème. Même si je pourrais louer plus cher, je ne veux pas prendre le risque d’un impayé ou d’un mauvais entretien.
Ce profil d’investisseur privilégie la sérénité à la maximisation du rendement. Et dans un contexte où les impayés augmentent et les litiges locatifs se multiplient, cette approche gagne en pertinence.
Et si je veux récupérer le bien ? Quels délais, quelles conditions ?
Quand et comment donner congé au locataire ?
Le propriétaire peut donner congé pour reprise personnelle, vente ou motif sérieux. Mais les délais sont stricts : six mois avant l’échéance du bail pour un logement vide, trois mois pour un meublé. Si le bail arrive à échéance moins de trois ans après l’achat, le congé ne prend effet qu’après la première reconduction.
Un piège fréquent : croire qu’on peut récupérer le bien dès l’achat. Ce n’est pas le cas. J’ai vu des acheteurs frustrés parce qu’ils voulaient emménager immédiatement et se sont rendu compte qu’ils devaient attendre trois ans , témoigne Clara Lefebvre.
Et pour les locataires protégés ?
Si le locataire a plus de 65 ans et des revenus modestes, la reprise exige de proposer un relogement équivalent. Cette obligation, souvent méconnue, peut coûter cher. Proposer un autre logement, c’est soit en acheter un, soit en louer un. Dans les grandes villes, c’est quasi impossible , souligne Antoine Berthier.
Ignorer cette règle peut entraîner un refus de justice et des frais juridiques. En 2025, les tribunaux sont de plus en plus stricts sur la protection des locataires vulnérables.
Avant de signer : les vérifications indispensables
Quels documents exiger absolument ?
L’acheteur doit exiger un dossier complet : bail en cours, état des lieux, quittances des 12 derniers mois, attestation d’absence d’impayés, diagnostics techniques (DPE, plomb, électricité), comptes de charges et procès-verbaux d’assemblée générale pour les copropriétés.
Manon Dubreuil a échappé à une mauvaise surprise grâce à cette rigueur : J’ai demandé les quittances. Le vendeur a hésité. En insistant, j’ai découvert que le locataire était en retard de deux mois. J’ai négocié une décote supplémentaire et une garantie sur l’acte.
Que doit prévoir l’acte de vente ?
L’acte doit mentionner le transfert du dépôt de garantie, la répartition des loyers au prorata du jour de vente, et la prise en charge éventuelle des impayés. Une clause sur le respect de l’encadrement des loyers et de la décence énergétique est fortement recommandée.
Un oubli courant : les charges de copropriété. Si des travaux sont votés, le nouvel acquéreur en assume la charge, même s’ils ont été décidés avant son achat. J’ai vu un investisseur hériter d’un appel de fonds de 8 000 € trois mois après l’achat , raconte Clara Lefebvre.
Conclusion : une stratégie à double tranchant
Acheter un bien occupé peut être une excellente opportunité, mais seulement si l’on en maîtrise tous les rouages. La décote n’est pas une garantie de rentabilité, et le loyer immédiat peut masquer un rendement décevant. La clé réside dans la préparation : clarifier ses objectifs, vérifier chaque document, anticiper les travaux et comprendre les obligations légales. Ce type d’investissement convient aux profils patients, méthodiques, et lucides. Pour ceux qui cherchent un gain rapide ou une reprise immédiate, il représente un piège. Mais pour ceux qui savent peser les risques, il peut devenir une porte d’entrée solide vers la pierre.
A retenir
Quelle décote peut-on espérer sur un bien occupé ?
Entre 10 % et 20 % en moyenne, mais cela dépend du profil du locataire, de la durée du bail, de la localisation et de la performance énergétique du bien. Une décote supérieure à 20 % doit alerter sur d’éventuels problèmes cachés.
Peut-on augmenter le loyer immédiatement après l’achat ?
Non. Le loyer reste figé jusqu’à l’échéance du bail, sauf révision annuelle selon l’indice de référence des loyers. En zone tendue, cette révision est encadrée par la loi.
Comment récupérer le bien pour l’occuper ou le vendre libre ?
Il faut donner congé au moins six mois avant l’échéance du bail, avec un motif légitime. Si le locataire est protégé (plus de 65 ans, faibles revenus), un relogement équivalent doit être proposé.
Quels documents sont indispensables avant l’achat ?
Le bail, les états des lieux, les quittances des 12 derniers mois, l’attestation d’absence d’impayés, les diagnostics techniques (DPE, plomb, électricité), les comptes de charges et les procès-verbaux d’assemblée générale.
Le dépôt de garantie, qui en est responsable ?
Le nouveau propriétaire est tenu de restituer le dépôt de garantie au locataire à la fin du bail, même s’il ne l’a pas reçu du vendeur. Il doit donc s’assurer de son transfert ou prévoir une garantie contractuelle.