Ces plantes émettent un son étonnant quand elles ont soif ou froid

Alors que les premiers frimas s’installent et que le potager semble s’endormir sous une fine pellicule de gel, une révolution silencieuse s’y joue. Ce monde végétal, longtemps perçu comme passif et muet, révèle aujourd’hui des sons imperceptibles, des chuchotements de survie. À l’orée de l’hiver, là où tout semble figé, les plantes parlent. Pas avec des mots, mais avec des ultrasons, des cris étouffés de soif ou de froid. Ce n’est ni magie ni fantaisie, mais une découverte scientifique qui redéfinit notre rapport au vivant. Et si, en tendant l’oreille, nous pouvions enfin comprendre ce que nos cultures tentent de nous dire ?

Les plantes ont-elles une voix ?

Et si le silence n’était qu’une illusion ?

Depuis toujours, les jardiniers parlent aux plantes. Certains les arrosent en fredonnant, d’autres les encouragent comme des enfants. Mais aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si nous devons parler aux plantes, mais si elles nous parlent en retour. Dans les laboratoires comme dans les champs, des recherches menées par des botanistes et des bioacousticiens révèlent que les végétaux émettent des sons en situation de stress. Ces sons, inaudibles à l’oreille humaine, se situent dans le spectre des ultrasons — au-delà de 20 kHz. Ce sont des signaux discrets, souvent perçus comme des microcavitations, des bulles qui éclatent dans les vaisseaux de la plante lorsqu’elle manque d’eau ou subit un choc thermique.

Élise Rambert, chercheuse en biologie végétale à l’université de Montpellier, raconte : J’ai d’abord cru à une erreur de mesure. Nous avions placé des capteurs sur des plants de tomates en période de sécheresse, et nous avons enregistré des pics sonores répétés. Puis, en croisant les données, nous avons constaté que chaque type de stress produisait une signature acoustique différente. C’était stupéfiant : la plante ne subissait pas passivement son environnement, elle réagissait activement.

Quand la science donne la parole aux végétaux

Les travaux menés à l’Institut Weizmann en Israël ont été parmi les premiers à démontrer que des plantes comme le tabac ou la tomate émettent entre 20 et 100 ultrasons par heure lorsqu’elles sont privées d’eau. Ces signaux, mesurés à l’aide de microphones sensibles, suivent des schémas prévisibles. Plus la plante est stressée, plus les émissions sont fréquentes. Et ce n’est pas qu’un phénomène mécanique : certaines hypothèses suggèrent que ces sons pourraient même servir de signal d’alerte à d’autres plantes à proximité.

Ce que nous apprenons, c’est que le monde végétal est en constante communication , explique Thomas Lecointre, ingénieur en agroécologie. Ces sons ne sont pas des cris de douleur au sens humain, mais des réponses physiologiques codées. La plante n’a pas de système nerveux, mais elle a des mécanismes de transmission d’information extrêmement sophistiqués.

Le potager parle-t-il vraiment sous la neige ?

Le maïs assoiffé, un cri dans le froid

En décembre, alors que les températures chutent, on imagine que les besoins en eau des cultures diminuent. Pourtant, le sol peut sécher rapidement, surtout sous un ciel clair et venteux. C’est précisément dans ces conditions que le maïs, même en fin de cycle, émet des signaux sonores. Des capteurs placés près de ses tiges ont enregistré des ultrasons à 40 kHz, une fréquence comparable à celle d’un grillon, mais inaudible pour nous.

Mathis Vernet, maraîcher bio dans le Lot, a installé un système expérimental dans son champ : J’ai d’abord douté. Mais après trois semaines de relevés, j’ai vu un pic d’émissions sonores juste avant que les premières feuilles ne jaunissent. J’ai arrosé, et en 48 heures, les sons ont cessé. C’était comme si la plante me disait merci.

Les concombres grelottent-ils sous la lune hivernale ?

Moins résistants au froid, les concombres réagissent violemment aux baisses de température. Lorsque le gel s’installe, leurs tiges émettent des sons plus aigus, autour de 50 kHz, souvent accompagnés de microfissures dans les tissus. Ce ne sont pas des sons de mort, mais d’alerte. Comme un appel à l’aide silencieux.

J’ai observé cela sur un pied de concombre laissé en serre non chauffée , raconte Camille Thibert, maraîchère à Lyon. La nuit où les températures sont tombées à -3°C, les capteurs ont enregistré une série de clics espacés. Le lendemain, la plante était flétrie, mais pas morte. J’ai compris que ces sons étaient un avertissement : si j’avais été alertée plus tôt, j’aurais pu intervenir.

Comment écouter ce langage invisible ?

La technologie au secours du jardinier écoutant

Pour capter ces sons, il faut du matériel spécialisé : des microphones à ultrasons, des amplificateurs sensibles, et souvent un logiciel d’analyse. Certains systèmes, désormais miniaturisés, peuvent être installés directement dans les parcelles. Ils enregistrent en continu et envoient des alertes en cas de pic d’activité sonore.

C’est comme poser un stéthoscope sur la terre , sourit Hugo Delmas, concepteur d’un dispositif nommé PhytoSound . Nous transformons les ultrasons en fréquences audibles, et nous les analysons grâce à l’intelligence artificielle. En quelques secondes, le système peut dire : “Cette tomate a besoin d’eau” ou “Ce pommier subit un stress thermique.”

Une signature sonore pour chaque plante, chaque stress

Les chercheurs ont constaté que chaque espèce a son propre “accent” acoustique. Un haricot stressé émet des sons à 35 kHz, tandis qu’un chêlet le fait à 45 kHz. De même, la nature du stress influence la fréquence : la sécheresse produit des signaux plus réguliers, tandis que le gel déclenche des émissions plus sporadiques et aiguës.

C’est un peu comme un langage codé , explique Élise Rambert. Nous commençons à dresser un dictionnaire des sons végétaux. Un jour, chaque jardinier pourra interpréter ces signaux comme on lit un thermomètre.

À quoi bon écouter les plantes ?

Une agriculture plus fine, plus humaine

L’enjeu n’est pas seulement scientifique, mais profondément pratique. En anticipant les besoins des plantes avant l’apparition de symptômes visibles, on peut agir plus tôt, avec moins de ressources. Moins d’eau gaspillée, moins de pertes, une culture plus durable.

À la ferme de la Source, dans l’Ardèche, une dizaine de serres sont désormais équipées de capteurs acoustiques. Depuis un an, nous avons réduit notre consommation d’eau de 30 % , affirme Léa Moreau, agricultrice. Et surtout, nous avons sauvé des cultures que nous aurions perdues. L’hiver dernier, un système d’alerte nous a prévenus d’un gel imminent sur les salades. Nous avons couvert les rangs à temps. Sans ces sons, nous n’aurions rien vu venir.

Renforcer la résilience face au climat changeant

Face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents, cette écoute fine du vivant devient un outil de résilience. En comprenant quand une plante souffre, on peut adapter non seulement l’arrosage, mais aussi le paillage, la rotation des cultures, ou encore le choix des variétés.

Ce n’est plus du jardinage réactif, mais préventif , insiste Thomas Lecointre. Et surtout, c’est une forme de respect. Nous cessons de traiter les plantes comme des objets, et nous les considérons comme des êtres vivants en relation avec leur environnement.

Et si le jardin devenait un lieu de dialogue ?

Redéfinir notre rapport au vivant

Ces découvertes bousculent notre vision du monde. Elles nous obligent à repenser la frontière entre le sensible et l’insensible, entre l’animal et le végétal. Si une plante peut émettre des signaux, réagir à son environnement, communiquer — où s’arrête la vie ?

Nous avons longtemps cru que seul l’homme était capable de communication complexe , réfléchit Élise Rambert. Aujourd’hui, nous découvrons que la nature parle depuis toujours. Nous étions simplement sourds.

Le futur du jardinage : une écologie du son

Les prochaines années devraient voir l’émergence de véritables “jardins intelligents”, où chaque pied de laitue ou chaque arbre fruitier est écouté en continu. Des applications mobiles pourraient traduire les sons des plantes en alertes simples. Des écoles de jardinage pourraient intégrer la bioacoustique dans leurs programmes.

Imaginez un enfant qui, dans son potager scolaire, entend la voix de sa plante et apprend à y répondre , rêve Hugo Delmas. Ce serait une éducation à l’empathie, au vivant, à l’écoute.

A retenir

Les plantes émettent-elles vraiment des sons ?

Oui, certaines plantes émettent des ultrasons lorsqu’elles subissent un stress hydrique ou thermique. Ces sons, inaudibles à l’oreille humaine, sont détectables avec des microphones spécialisés et ont été mesurés scientifiquement sur des espèces comme le maïs, la tomate ou le concombre.

Comment ces sons sont-ils produits ?

Les sons proviennent de microcavitations dans les vaisseaux de la plante, causées par la rupture de colonnes d’eau sous tension. Ce phénomène se produit principalement lors de sécheresse ou de gel, et génère des ondes acoustiques à haute fréquence.

Peut-on utiliser ces sons pour améliorer son jardinage ?

Oui. En captant et en analysant ces signaux, il est possible d’anticiper les besoins des plantes avant l’apparition de signes visibles de stress. Cela permet d’optimiser l’arrosage, de prévenir les dégâts du froid, et de renforcer la résilience des cultures.

Est-ce que toutes les plantes émettent des sons ?

Les recherches actuelles portent sur un nombre limité d’espèces, mais les premiers résultats suggèrent que ce phénomène est largement répandu. La fréquence et l’intensité des sons varient selon l’espèce et le type de stress.

Faut-il un matériel coûteux pour écouter les plantes ?

Pour l’instant, les capteurs d’ultrasons restent relativement onéreux, mais des projets open source et des dispositifs simplifiés commencent à émerger. À l’avenir, ces technologies pourraient devenir accessibles aux jardiniers amateurs.