Un été sans voyage, mais plein de rires pour deux sœurs à Boulogne-Billancourt en 2025

Un été ne tient pas toujours dans des valises, des billets d’avion ou des réservations d’hôtel. Parfois, il suffit d’un regard complice entre deux sœurs, d’un rayon de soleil filant entre les immeubles, d’un parfum de glace à la fraise sur un trottoir de banlieue. À Boulogne-Billancourt, entre la Seine et le périphérique, Lily-Rose et Imany-Rolls, âgées respectivement de 9 et 6 ans, construisent leur été comme on dessine un monde à la craie sur le bitume : fragile, coloré, mais infiniment vivant. Leur histoire, simple et profonde, résonne comme un écho à celle de milliers d’enfants en France, dont les vacances ne commencent pas à l’aéroport, mais à la porte de leur immeuble.

Comment transformer la ville en terrain d’aventures ?

Le parc de Billancourt, en ce matin d’août, baigne dans une lumière paresseuse. Les canards glissent sur l’étang, les pigeons picorent entre les bancs. Pour Imany-Rolls, ce paysage n’a rien d’un décor banal. « Ça sent la mer ! », lance-t-elle soudain, le nez levé vers le ciel. Son aînée, Lily-Rose, rit, puis reprend le fil de leur jeu imaginaire : elles sont exploratrices, cartographiant un territoire fait de ruelles ombragées, de passages secrets derrière les conteneurs à ordures, et de trésors cachés dans les bosquets du square.

Leur territoire, c’est la ville. Pas celle des cartes postales, mais celle du quotidien, réinventée chaque jour. Une trottinette devient un cheval de course, un banc un vaisseau spatial. Elles connaissent les coins où l’ombre tombe le plus tôt, les arbres qui offrent les meilleures cachettes, les commerçants qui leur glissent un bonbon en douce. « On a nos repères, explique Lily-Rose. On sait où aller quand il fait trop chaud. »

Leur mère, Diella, observe leurs escapades avec une attention discrète. « Elles ont cette capacité à tout transformer, murmure-t-elle un soir, alors que les filles s’endorment sur le canapé, épuisées par leur journée. Moi, je vois un quartier ordinaire. Elles, elles voient un royaume. »

Le 20 août, ce royaume s’étend jusqu’à la tour Eiffel. Le Secours populaire organise sa « journée de ouf », une fête géante pour les enfants qui ne partent pas en vacances. Plus de 40 000 enfants sont attendus. Athlètes olympiques, artistes comme Marguerite ou Bigflo et Oli, ateliers, jeux, concerts — tout est là pour transformer une journée en événement. Pour Imany-Rolls, c’est une première. « On va voir des stars ? » demande-t-elle, les yeux écarquillés. Lily-Rose, plus réservée, hoche la tête. « C’est comme un voyage, mais sans quitter Paris. »

Pourquoi certaines familles renoncent-elles aux vacances loin de chez soi ?

Le renoncement, Diella ne le vit pas comme une défaite, mais comme un ajustement. Mère célibataire de cinq enfants, elle travaille à temps partiel dans la restauration collective. En mars, en faisant ses comptes, elle réalise que le budget ne permettra pas le traditionnel camping en bord de mer. « On a toujours fait une semaine à l’été, souvent dans le sud, avec les grands frères. Mais cette année, les chiffres ne suivaient plus. »

Elle refuse pourtant de céder à la honte ou à l’isolement. « Mes filles ne manquent pas d’amour, dit-elle. Elles manquent peut-être de moyens, mais pas de présence. » Le trois-pièce de 65 m², situé au sixième étage d’un immeuble HLM, devient alors un point de départ, pas une prison. Les vacances ne sont plus une destination, mais un état d’esprit.

« Un enfant qui n’est pas parti le 15 août ne partira plus », affirme le Secours populaire. En France, un enfant sur trois est concerné par cette absence de départ. Pour Diella, ce constat est à la fois dur et libérateur. « Je ne suis pas seule. Et je ne veux pas que mes filles croient que le bonheur dépend d’un billet d’avion. »

Elle s’organise. Centre aéré en juillet, sorties gratuites avec l’association, piscine municipale, musée de la Magie dans le 4e arrondissement. Chaque sortie est un moment volé à la routine, une bulle de légèreté. « On ne fait pas grand-chose, mais on le fait ensemble », résume-t-elle.

Comment maintenir le rythme quand tout pèse ?

À la maison, les vacances ont un rythme lent, presque feutré. On se lève plus tard, on traîne en pyjama, on chante à tue-tête. Lily-Rose adore « Parisienne » de Gims, qu’elle répète en boucle, accompagnée de chorégraphies improvisées. Imany-Rolls, plus rêveuse, dessine des licornes sur les marges de ses cahiers.

La chaleur, en ce mois d’août, devient un personnage à part entière. L’Île-de-France étouffe. Les nuits sont moites, les journées longues. Lily-Rose, qui partage sa chambre avec sa sœur, se plaint de vertiges. « J’ai la tête qui tourne, dit-elle un soir. C’est comme si l’air était trop lourd. » Diella, épuisée par son travail, reste éveillée, évente les filles avec un magazine, leur humidifie le front.

Pour combattre la chaleur, elles sortent en fin d’après-midi. Balades le long de la Seine, traversée de l’île Seguin, parfois une incursion dans les rues animées du 13e arrondissement, où les boutiques chinoises débordent de fruits exotiques. « On va juste voir autre chose, explique Lily-Rose. Même si c’est pas loin, ça change. »

Camelia, la meilleure amie de Lily-Rose, est partie en Espagne. Elle envoie des photos de plage, de glaces géantes, de châteaux gonflables. Lily-Rose les regarde, puis les range. « Elle revient dans deux jours, dit-elle. On ira manger une glace ensemble. » Il n’y a ni jalousie ni tristesse dans sa voix, juste une forme d’acceptation paisible.

Qu’est-ce que ces vacances-là disent de notre rapport à la ville ?

Le quotidien de Lily-Rose et Imany-Rolls n’est pas une exception. Il est un miroir. Un miroir de ce que deviennent les vacances pour une part croissante des enfants en France : des moments de présence, d’invention, de résilience. Dans les quartiers populaires, la ville n’est pas un décor de repli, mais un espace à habiter, à transformer, à aimer.

« Elles grandissent ici, dit Diella. Elles apprennent à lire un paysage urbain, à le décoder, à s’y sentir chez elles. Ce n’est pas moins bien que la mer. C’est différent. »

Leur mère, malgré la fatigue, insiste sur ce point : l’amour compense les manques. Pas comme une consolation, mais comme une force. « Je ne peux pas leur offrir l’Espagne, mais je peux leur offrir mon temps. Et je crois que c’est ce qu’elles retiendront. »

Les sorties du Secours populaire, les ateliers de sculpture, les parties de coloriage, les disputes pour la télécommande, les rires étouffés dans l’oreiller — tout cela forme une trame. Une trame de vacances à hauteur d’enfants. « Elles ne parlent pas de manque, dit Diella. Elles parlent de ce qu’elles ont fait. Et c’est déjà beaucoup. »

Peut-on être heureux sans partir ?

La question, Diella se la pose souvent. Mais elle la reformule : peut-on être heureux sans dépenser ? Sans quitter son quartier ? Sans suivre le mouvement général ?

La réponse, elle la trouve dans les yeux de ses filles. Un matin, Lily-Rose lui montre un dessin : une grande maison avec un jardin, une piscine, et deux silhouettes qui se tiennent la main. « C’est nous ? » demande Diella. Lily-Rose secoue la tête. « Non, c’est notre rêve. Mais on est déjà dedans, en vrai. »

Imany-Rolls, elle, collectionne les feuilles tombées des arbres du parc. Elle les range dans un cahier, les nomme, les date. « C’est mon musée », dit-elle fièrement. Quand on lui demande si elle préférerait être à la plage, elle réfléchit longuement. « Peut-être. Mais ici, j’ai ma sœur. Et ma maman. Et des feuilles qui brillent. »

Le bonheur, dans leur version, tient à peu de chose. Une glace partagée. Une chanson fredonnée. Une trottinette qui file sous le soleil. Un regard qui dit tout sans un mot. « Ce sont des vacances discrètes, dit Diella. Mais elles ont déjà la forme d’un souvenir heureux. »

A retenir

Qu’est-ce qui rend ces vacances significatives malgré l’absence de voyage ?

Ces vacances gagnent en sens parce qu’elles sont vécues intensément, au plus près des relations familiales et des petites joies du quotidien. La proximité géographique n’empêche pas l’évasion : elle la redéfinit. Le bonheur n’est pas dans le déplacement, mais dans la présence, l’attention, la capacité à transformer l’ordinaire en aventure.

Comment les enfants perçoivent-ils le manque de moyens ?

Les enfants, surtout à cet âge, ne mesurent pas le manque en termes économiques, mais en termes d’attention et de partage. Pour Lily-Rose et Imany-Rolls, le fait de faire les choses ensemble, de rire, de découvrir, compense largement l’absence de destination lointaine. Leur mère, présente et inventive, leur transmet une forme de richesse affective qui s’ancre durablement.

Quel rôle jouent les associations comme le Secours populaire ?

Le Secours populaire agit comme un levier d’égalité. En organisant des événements gratuits, accessibles et festifs, il permet à des milliers d’enfants de vivre des moments marquants, souvent inaccessibles autrement. Ces journées ne sont pas des palliatifs, mais des véritables expériences de vacances, qui laissent des traces dans la mémoire des enfants.

Quelle leçon peut-on tirer de cette expérience ?

La leçon, simple et puissante, est que les vacances ne se mesurent pas à la distance parcourue, mais à la qualité du temps partagé. Un été peut tenir dans une poignée d’heures précieuses, silencieuses, où deux sœurs rient sous un arbre, où une mère veille malgré la fatigue, où la ville devient un terrain de jeu. Ce n’est pas l’endroit qui compte, c’est ce qu’on en fait.